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WUJA

World Union of Jesuit Alumni

PEDAGOGIE IGNATIENNE, APPROCHES CONCRETES

AVANT PROPOS

REMARQUES D'INTRODUCTION

PEDAGOGIE IGNATIENNE

Le but de l'éducation jésuite

Vers une pédagogie pour la foi et la justice

La pédagogie des Exercices Spirituels

Relation professeur-etudiant

Le modèle ignatien

Dynamiques du modèle ignatien

Un processus permanent

Traits caractéristiques du Modèle pédagogique ignatien

Défis pour la mise en oeuvre d'une pédagogie ignatienne

De la théorie à la pratique:

Programmes de développement pour les équipes enseignantes

Quelques aides concrètes pour comprendre le Modèle

Invitation à la collaboration

APPENDICES

 Appendice 1: Quelques principes pédagogiques essentiels ("Annotations" ignatiennes)
Appendice 2: La Pédagogie Ignatienne Aujourdhui R. P. Peter-Hans Kolvenbach, S.J.
Appendice 3: Exemples de methodes pouvant aider les professeurs à utiliser le modèle pédagogique ignatien

AVANT PROPOS


La publication en 1986 des Caractéristiques de l'Education Jésuite marqua un intérêt renouvelé pour l'éducation jésuite parmi les enseignants, les administrateurs, les étudiants, les parents et bien d'autres partout dans le monde. Ils y ont perçu un sens de leur identité et de leur objectif. Ce document traduit en 13 langues a servi de thème central à nombre de séminaires, d'ateliers et d'études. Les réactions ont été extrêmement positives.
Une question a été posée récemment un peu partout dans le monde. Comment les Caractéristiques peuvent-elles être mieux mises en usage par les professeurs ? Comment les valeurs ignatiennes peuvent-elles être incorporées dans une pédagogie pratique à l'usage de l'interaction quotidienne entre professeurs et étudiants en classe?
La Commission Internationale pour l'Apostolat de l'Education Jésuite (ICAJE) a travaillé pendant plus de trois ans pour donner une réponse à cette question. En s'aidant des réactions et des suggestions d'éducateurs laïcs et jésuites du monde entier, sept textes successifs ont été rédigés pour introduire le Modèle Pédagogique Ignatien. Cependant dès le début nous étions persuadés que ce n'était pas un document qui par lui-même pourrait aider les professeurs à faire les adaptations dans l'approche pédagogique et dans les méthodes d'enseignement requises par l'éducation ignatienne. Les membres de la Commission étaient convaincus que, pour mettre en pratique avec succès le Modèle Pédagogique Ignatien à l'usage des écoles jésuites, il fallait des programmes pour préparer les professeurs dans chaque Province et dans chaque école. Les professeurs ont besoin de plus que d'une introduction de connaissance du Modèle. Ils ont besoin d'une formation pratique qui les engage et les rend capables de réfléchir sur l'expérience d'utilisation confiante et efficace de ces nouvelles méthodes. C'est la raison pour laquelle dès le début ICAJE a travaillé à un projet pour aider les professeurs.

Le Projet de Pédagogie Ignatienne comprend :

1)    un document d'introduction sur le Modèle Pèdagogique Ignatien comme une sorte de développement de la 10e partie des "Caractéristiques"; et
2)    un programme de préparation des professeurs au niveau régional, provincial et de l'école. Les programmes de préparation du corps professoral devraient avoir une durée de trois à quatre ans pour rendre les professeurs capables de maîtriser progressivement les approches pédagogiques ignatiennes et s'y familiariser.
Pour rendre le projet effectif et introduire le corps professoral aux programmes de préparation au Modéle Pédagogique Ignatien et à des méthodes d'enseignement appropriées, des groupes de diverses Provinces ont commencé à s'entraîner. Tout le processus a commencé à la Villa Cavalletti, près de Rome, du 20 au 30 avril 1993. Six éducateurs de chaque continent (au total environ 40 personnes de 26 nations) ont été invitées, à s'entraîner, à apprendre, à mettre en pratique et à assimiler les méthodes pédagogiques plus importantes. Ceux-ci, à leur tour, sont en train de préparer des ateliers de formation pour des équipes dans les Provinces de leur région, qui successivement enseigneront ces programmes de formation au corps professoral de leur institution scolaire.
Sans l'aide de l'équipe de formation de Villa Cavalletti et leur participation généreuse à cet atelier international, il n'eut pas été possible de mettre à la disposition de nos professeurs le Projet de Pédagogie ignatienne. Je suis, par conséquent, très reconnaissant à tous les participants qui se sont mis au service de l'éducation jésuite au niveau mondial.
Je remercie particulièrement les membres de la Commission Internationale pour l'Apostolat de l'Education Jésuite qui ont travaillé pendant plus de trois ans à la composition de sept rédactions successives de cette Introduction, et en élaborant les méthodes pédagogiques qui expriment la substance du Projet de Pédagogie ignatienne. Les membres de l'ICAJE représentent l'expérience et les points de vue culturels de tous les coins du monde : les PP. Agustin Alonso (Europe), Anthony Berridge (Afrique et Madagascar), Charles Costello (Amérique du Nord), Daven Day (Asie Orientale), Gregory Naik (Asie Méridionale) et Pablo Sada (Amérique Latine).
Je remercie déjà les Provinciaux, leurs Délégués à l'éducation, les professeurs, les administrateurs, les membres des conseils d'administration, dont l'encouragement et la collaboration dans cet effort global de renouveau de notre apostolat de l'éducation sont décisifs.
Finalement je veux rendre hommage à la généreuse aide financière que nous avons reçue de trois fondations qui désirent garder l'anonymat. Leur participation à nos efforts est un exemple remarquable de l'intérêt et de la collaboration qui caractérisent la communauté éducative de la Compagnie.

Vincent J. Duminuco, S.J. Secrétaire pour l'Education de la Compagnie de Jésus

REMARQUES D'INTRODUCTION

Ce document est un développement de la 1Oe partie des Caractéristiques de l'éducation jésuite ; il veut répondre aux nombreuses demandes d'une aide pour formuler une pédagogie concrète qui soit en plein accord avec les vues et les valeurs ignatiennes présentées dans les Caractéristiques, et qui soit efficace pour les faire connaître. Il est donc essentiel que ce qui est dit ici soit compris en lien avec l'esprit ignatien et la visée apostolique présentée dans les Caractéristiques de l'éducation jésuite. (Cf. Caractéristiques n.167 ; et Peter-Hans Kolvenbach, S.J. Discours prononcé à Georgetown, 1989).


Ce qui concerne la pédagogie jésuite a été l'objet de nombreux livres et articles savants tout au long des siècles. Dans cet essai nous ne traitons que de quelques aspects de cette pédagogie permettant d'introduire à une stratégie concrète de l'enseignement. L'aspect de la pédagogie ignatienne proposée ici peut aider à unifier et à concrétiser nombre des principes énoncés dans les Caractéristiques de l'éducation jésuite. Par exemple, le sécularisme, le matérialisme, le pragmatisme, l'utilitarisme, le fondamentalisme, le racisme, le nationalisme, le sexisme, le consumérisme, pour n'en nommer que quelques-uns.


Il est évident qu'un programme commun pour les écoles ou collèges jésuites, semblable à celui que proposait l'ancien Ratio Studiorum, est aujourd'hui impossible. Cependant il semble important, et en continuité avec la tradition jésuite, d'avoir une pédagogie systématiquement organisée, dont la substance et les méthodes promeuvent une vision explicite de la mission éducative contemporaine des jésuites. C'est au niveau régional ou local que l'on peut le mieux prendre la responsabilité d'adaptations culturelles. Ce qui semble le plus adapté aujourd'hui à un niveau plus universel est un modèle pédagogique ignatien pouvant aider professeurs et élèves à orienter leur travail à la fois d'une manière académiquement solide et permettant de former des “hommes-pour-les-autres”. 33e C.G., décret 1, nn.39-40. C'est nous qui soulignons.


Le modèle pédagogique ici proposé comporte un style et un type d'enseignement particulier. Il demande à être vivifié par des manières de concevoir un enseignement des valeurs et à être mis en oeuvre au sein de programmes déjà existants, plutôt que d'ajouter de nouveaux cours. Nous croyons qu'une telle manière de faire est préférable, aussi bien parce qu'elle est plus réaliste face à des programmes déjà chargés dans la plupart des institutions d'éducation, que parce qu'elle s'est montrée plus efficace pour aider les élèves à intérioriser les valeurs ignatiennes établies dans les Caractéristiques de l'éducation jésuite et agir conformément à celles-ci. Cette vue fondamentale dans les Exercices Spirituels et ses implications pour l'éducation jésuite a été étudiée par François Charmot, S.J., dans La Pédagogie des Jésuites; Ses principes - Son actualité (Paris, Editions Spes, 1943). «On peut trouver d'autres informations convaincantes dans les 10 premiers chapitres du directoire des Exercices Spirituels. Appliqués à l'éducation, ces principes mettent en relief le principe pédagogique que le professeur n'a pas seulement à informer, mais aussi à aider l'élève à progresser dans la vérité.» (Note tirée d'une traduction d'une section du livre de Charmot par Michael Kurimay,S.J., résumant la section du livre dans laquelle Charmot décrit le rôle du professeur selon les Exercices).


Nous intitulons ce document Pédagogie ignatienne parce qu'il ne vise pas seulement l'éducation donnée dans les écoles, collèges et universités jésuites, mais qu'il peut aussi être utile dans des formes d'éducation qui, d'une manière ou d'une autre, s'inspirent de l'expérience de saint Ignace résumée dans les Exercices Spirituels, dans la IVème partie des Constitutions de la Compagnie de Jésus et dans le Ratio Studiorum jésuite. La méthode de cours magistraux, où l'autorité du professeur (magister) s'impose comme celle du dispensateur des connaissances, devint le modèle prédominant d'enseignement dans de nombreuses écoles à partir du Moyen Age. La lecture du cours caractérisait la «lectio» ou leçon dont on attendait que l'étudiant la redise et la défende ensuite. Les progrès de l'imprimerie facilitèrent en partie une plus grande mise à disposition de tous de livres permettant une lecture personnelle et une étude indépendante. En des temps plus récents, les manuels et autres matériaux, écrits par des professionnels du domaine étudié et publiés d'une manière commerciale pour le large marché de l'éducation, avaient eu un impact significatif sur l'enseignement dans les classes. En bien des cas le manuel a remplacé le professeur comme autorité essentielle dans l'enseignement et dans l'ensemble des cours, si bien que le choix des manuels peut être la décision pédagogique la plus importante que prennent certains professeurs. Déterminer le programme d'une matière en fonction des chapitres et des pages d'un texte que les élèves ont à connaitre pour passer des examens continue à être la norme en bien des cas. Souvent on pense peu à la manière dont connaissances et idées exprimées dans le cadre d'une discipline pourraient considérablement accroitre non seulement l'intelligence que des élèves ont du sujet, mais aussi leur manière de comprendre et de juger le monde dans lequel ils vivent.

La pédagogie ignatienne est une pédagogie qui a sa source dans la foi. Mais même ceux qui ne partagent pas cette foi peuvent trouver des expériences valables à partir de ce document, parce que la pédagogie inspirée par saint Ignace est profondément humaine et donc universelle. Il suffit seulement de penser à ce qu'était l'apprentissage ou être le disciple d'un maître pour comprendre que toutes les pédagogies n'ont pas été aussi passives en ce qui concerne le rôle de celui qui apprend.


Dès ses origines, la pédagogie ignatienne a été éclectique dans le choix de méthodes pour enseigner et pour apprendre. Ignace de Loyola adapta le “modus Parisiensis”, la méthode pédagogique utilisée de son temps à l'Université de Paris. Il y inséra bon nombre de principes méthodologiques qu'il avait lui-même auparavant mis au point dans les Exercices Spirituels. Il est sûr que les jésuites du seizième siècle ne disposaient pas des méthodes précises et scientifiquement testées qui sont proposées, par exemple, actuellement en psychologie. L'attention portée à chaque élève individuellement rendait ces maîtres jésuites attentifs à tout ce qui était réellement utile pour l'enseignement et pour le développement de l'homme. Et ils firent part de leurs découvertes en de nombreuses parties du monde, vérifiant par là l'efficacité plus universelle de leurs méthodes pédagogiques. Ceci fut rassemblé dans le Ratio Studiorum, ce code jésuite d'une éducation libérale qui devint la norme pour toutes les écoles jésuites. Dans les premières phases de l'expérience, qu'elle soit directe ou par intermédiaire, ceux qui apprennent perçoivent les données en même temps que leurs réactions affectives à celle-ci. Mais c'est seulement par une organisation de ces données que l'expérience peut être saisie comme un tout, répondant aux questions : “Qu'est-ce que ceci?” et: “Comment est-ce que j'y réagis?” Ainsi ceux qui apprennent ont besoin d'être attentifs et actifs lorsqu'ils réalisent ce que signifie la réalité humaine à laquelle ils sont confrontés.


Au cours des siècles, un bon nombre d'autres méthodes spécifiques plus scientifiquement établies par d'autres éducateurs ont été adoptées au sein de la pédagogie jésuite dans la mesure où elles contribuaient à atteindre les buts de l'éducation jésuite. Une caractéristique de toujours dans la pédagogie ignatienne est l'introduction systématique et permanente de méthodes venant de sources variées et contribuant davantage à la formation intégrale au plan intellectuel, social, moral et religieux de toute la personne.


Ce document n'est qu'une partie d'un projet d'ensemble qui vise à introduire la pédagogie ignatienne par l'intelligence et la pratique de méthodes propres à atteindre le but de l'éducation jésuite. Ainsi les pages qui suivent doivent être accompagnées de programmes concrets permettant aux professeurs de découvrir, en s'y sentant à l'aise, une structure enseignant et apprenant ce qu'est le modèle pédagogique ignatien, et quelles méthodes spécifiques en facilitent la mise en oeuvre. Afin que ceci puisse se réaliser, des éducateurs, laïcs et jésuites, de tous les continents, sont formés pour servir de guides dans l'établissement des programmes au niveau des régions, des provinces et des écoles locales.


Le Projet pédagogique ignatien s'adresse avant tout aux professeurs. C'est en effet dans leurs rapports quotidiens d'enseignement avec les étudiants que peuvent être réalisés les idéaux et les objectifs de l'éducation jésuite. Comment se comporte le professeur avec ses étudiants? Comment conçoit-il l'enseignement? Comment intéresse-t-i les étudiants à la recherche de la vérité? Qu'attend-il de ses étudiants? Quelle est sa conscience professionnelle et quels sont ses idéaux? Ce sont là des éléments significatifs qui peuvent avoir une influence sur la formation et la croissance des étudiants. Le P. Kolvenbach soulignait le fait que “Saint Ignace semblait placer l'exemple personnel du professeur bien au-dessus de l'enseignement comme étant un moyen apostolique de faire progresser les élèves dans les valeurs” (cf. Appendice 2, 142). Il va sans dire que dans les institutions scolaires les directeurs, les membres du conseil d'administration, l'équipe des professeurs et tous les autres membres de la communauté éducative jouent un rôle-clé indispensable pour créer le milieu et les méthodes d'éducation qui peuvent favoriser les buts de la pédagogie ignatienne. Il est donc important de leur faire partager ce projet.

PEDAGOGIE IGNATIENNE

La pédagogie est la manière dont des professeurs accompagnent ceux qu'ils enseignent dans leur croissance et dans leur développement. La pédagogie, art et science d'enseigner, ne peut pas être simplement réduite à une méthode. Elle doit comprendre une vue du monde et une vision de l'être humain idéal à former. Sur cela reposeront le but et la fin vers lesquels sont orientés tous les aspects d'une tradition éducative. De là aussi viendront les critères pour le choix des moyens à employer dans le processus de l'éducation. Cette vue du monde et cet idéal de l'éducation jésuite pour notre temps ont été exprimés dans les Caractéristiques de l'éducation jésuite. La pédagogie ignatienne suppose cette vue du monde et va plus loin en proposant des moyens plus explicites dans lesquels les valeurs ignatiennes peuvent s'incarner dans le processus de l'enseignement au cours duquel on enseigne et apprend.


Le but de l'éducation jésuite

Quel est notre but ? Les Caractéristiques de l'éducation jésuite en donnent une description que le P. Général Kolvenbach a ainsi développée:

La poursuite du développement intellectuel de chaque élève pour atteindre la pleine mesure des talents donnés par Dieu demeure à juste titre un but essentiel de l'éducation jésuite. Cependant celle-ci n'a jamais simplement visé à entasser un ensemble de connaissances ou à préparer à une profession, bien que de telles choses soient en elles- mêmes importantes et utiles pour des leaders chrétiens de valeur. La visée ultime de l'éducation jésuite est bien plutôt cette pleine croissance de la personne qui conduit à agir - agir, tout spécialement, par une action habitée par l'esprit et la présence de Jésus Christ, Fils de Dieu, Homme-pour-les-autres. Le but de cette action, elle-même fondée sur une saine intelligence et vivifiée par la contemplation, pousse les élèves à l'auto-discipline et à l'initiative, à l'intégrité et à l'exactitude. En même temps, cette éducation regarde des manières de penser désordonnées ou superficielles comme indignes de l'homme et, ce qui est plus important, dangereuses pour le monde au service duquel chacun est appelé1.

Le P. Arrupe a résumé cela en définissant le but de notre éducation comme étant de «former des hommes et des femmes pour les autres». Le P. Kolvenbach a décrit le diplômé d'une école jésuite que l'on attendait comme quelqu'un qui est «bien formé, intellectuellement compétent, ouvert à la croissance, religieux, affectueux et engagé à agir pour la justice dans un généreux service du peuple de Dieu». Le P. Kolvenbach établit encore ce qu'est notre but quand il dit: «Nous visons à former des leaders dans le service, à l'imitation du Christ Jésus, des hommes et des femmes compétents, consciencieux et passionnés d'engagement».

Un tel but requiert une formation entière et approfondie de la personne humaine, un processus éducatif de formation qui appelle à l'excellence - efforts pour exceller, pour réaliser ce dont on est capable - qui embrasse l'aspect intellectuel, l'aspect académique et bien plus encore. Une telle formation appelle à une excellence humaine modelée sur le Christ des Evangiles, une excellence qui reflète le mystère et la réalité de l'Incarnation, excellence qui respecte la dignité de tous les hommes, aussi bien que la sainteté de toute la création. Il y a un nombre suffisant d'exemples dans l'histoire d'une excellence en éducation conçue d'une manière étroite, de gens ayant extraordinairement progressé au plan intellectuel et, en même temps, demeurant sous-développés au plan émotionnel et moralement immatures. Nous commençons à réaliser que l'éducation n'humanise ou ne christianise pas inévitablement les gens et la société. Nous n'avons plus foi en la notion naïve que toute éducation, quels que soient sa qualité, sa motivation ou son dessein, conduira à la vertu. Dès lors, il devient de plus en plus clair que si nous-mêmes, dans notre éducation jésuite, devons avoir une force morale dans la société, nous devons insister sur le fait que le processus de l'éducation se situe dans un cadre moral autant que dans un cadre intellectuel. Ceci ne veut pas suggérer un programme d'endoctrinement qui étouffe l'esprit ; ceci ne vise pas non plus à l'introduction de cours théoriques purement spéculatifs et éloignés de la réalité. Ce dont on a besoin est un cadre de recherches pour un processus qui a à s'affronter à des problèmes très significatifs et aux valeurs complexes de la vie, ainsi que des professeurs capables et disposés à diriger cette recherche.

Vers une pédagogie pour la foi et la justice.

Jeunes hommes et jeunes filles doivent être libres de prendre une route où ils sont à même de croître et de se développer comme personnes pleinement humaines. Dans le monde d'aujourd'hui, cependant, on a tendance à considérer en termes excessivement utilitaires la fin de toute éducation. Un accent exagéré mis sur des succès financiers peut faire naître une compétitivité extrême et la prédominance de soucis égoïstes. Le résultat sera que ce qui est humain dans une discipline ou dans un sujet donné peut être diminué dans la conscience de l'élève. Cela peut facilement obscurcir les vraies valeurs et visées d'une éducation humaniste. Pour éviter une telle distorsion, les professeurs des écoles jésuites proposent des matières académiques, à partir d'une expérience humaine, en mettant l'accent sur la découverte et la recherche de modèles, de relations, de faits, de questions, de vues, de conclusions, de problèmes, de solutions, d'implications que chaque discipline particulière met en lumière sur ce que signifie être un être humain. L'éducation devient ainsi une investigation soigneusement raisonnée par laquelle l'élève forme ou réforme ses attitudes habituelles envers les autres et envers le monde.


Au plan chrétien, le modèle de la vie humaine - et donc l'idéal de quiconque est élevé humainement - est la personne de Jésus. Par sa parole et par ses exemples, Jésus nous enseigne que les possibilités humaines ne sont pleinement réalisées que dans notre union avec Dieu, union qui est recherchée et atteinte par des relations d'amour, de justice et de compassion avec nos frères et nos soeurs. L'amour de Dieu trouve alors sa véritable expression dans notre amour quotidien du prochain, dans le soin que nous prenons avec compassion des pauvres et de ceux qui souffrent, dans notre souci profondément humain des autres en tant que membres du peuple de Dieu. C'est un amour qui témoigne de la foi et qui parle par notre action en faveur d'une nouvelle communauté mondiale de justice, d'amour et de paix.

La mission de la Compagnie aujourd'hui en tant qu'Ordre religieux dans l'Eglise catholique est le service de la foi dont la promotion de la justice est un élément essentiel. C'est une mission enracinée dans la pensée qu'une nouvelle communauté mondiale de justice, d'amour et de paix nécessite des gens formés, ayant compétence, conscience et compassion, des hommes et des femmes prêts à embrasser et à promouvoir tout ce qui est pleinement humain, qui se sont engagés à travailler pour la liberté et la dignité de tous les peuples, et qui désirent le faire en collaborant avec d'autres qui se sont également consacrés à une réforme de la société et de ses structures. Un renouveau de nos systèmes sociaux, économiques et politiques, faisant qu'ils alimentent et défendent notre humanité commune, qu'ils libèrent les hommes en sorte qu'ils soient généreux dans leur amour et dans leurs dons aux autres, ce renouveau requiert des gens pleins de ressort et de ressources. Il demande des hommes formés dans la foi et dans la justice, qui ont un sens toujours plus grand de la manière dont ils peuvent être d'efficaces défenseurs, agents et modèles de la justice, de l'amour et de la paix de Dieu, aussi bien au coeur qu'en dehors des occasions ordinaires propres à la vie et au travail de chaque jour.

En conséquence, une éducation dans la foi et pour la justice commence par le respect de la liberté, du droit et du pouvoir que des individus et des communautés ont de créer une vie différente pour eux-mêmes. Cela signifie aider les jeunes à s'engager dans le sacrifice et la joie qu'il y a à partager sa vie avec d'autres. Cela signifie les aider à découvrir que ce qu'ils ont le plus à offrir est ce qu'ils sont plutôt que ce qu'ils ont. Cela signifie les aider à comprendre et à apprécier que les autres sont leur plus riche trésor. Cela signifie marcher avec eux dans leur propre itinéraire vers une plus grande connaissance, une plus grande liberté, un plus grand amour. C'est une part essentielle de la nouvelle évangélisation à laquelle nous appelle l'Eglise.

Ainsi l'éducation dans les écoles jésuites cherche à transformer le regard que les jeunes portent sur eux-mêmes et sur les autres êtres humains, sur les systèmes sociaux et les structures de la société, sur l'ensemble de la communauté humaine et sur l'ensemble de la création. Si elle réussit vraiment, l'éducation jésuite a pour ultime résultat une transformation radicale non seulement de la manière dont on pense et agit habituellement, mais aussi de la manière même dont vivent dans le monde hommes et femmes ayant compétence, conscience et compassion, recherchant le plus grand bien dans ce qui peut être fait, en raison d'un engagement de foi dans la justice, pour améliorer la qualité de la vie des hommes,
particulièrement parmi les pauvres de Dieu, les opprimés et les laissés pour compte.

Pour atteindre notre but d'éducateurs dans les écoles jésuites, nous avons besoin d'une pédagogie ayant l'ambition de former des hommes et des femmes pour les autres dans le monde postmoderne où sont l'oeuvre tant de forces qui vont à l'encontre d'une telle visée2. De plus nous avons besoin d'une formation permanente pour nous-mêmes en tant que professeurs pour être capables de mener à bien cette pédagogie. Par ailleurs, en beaucoup d'endroits, les entités gouvernementales déterminent les limites des programmes d'éducation, et la formation des maîtres va à l'encontre d'une pédagogie encourageant l'activité de l'élève qui apprend, favorisant les progrès en excellence humaine et promouvant une formation dans la foi et à des valeurs en même temps que la transmission de la connaissance et de la technique en tant que dimensions intégrales du processus de l'enseignement. Ceci décrit la situation réelle à laquelle font face nombre d'entre nous, professeurs et administrateurs d'écoles jésuites. Cela pose un défi apostolique et complexe dans la mesure où chaque jour nous reprenons notre mission de gagner la foi de nouvelles générations de jeunes, de marcher avec eux sur la route qui conduit à la confiance, de les aider à travailler pour un monde juste empli de la compassion du Christ.

Comment pouvons-nous cela ? Depuis la publication en 1986 des Caractéristiques de l'éducation jésuite, la question fréquemment posée par les professeurs aussi bien que par les membres de l'administration des écoles jésuites a été : «Comment pouvons-nous réaliser ce qui est proposé dans ce document, la formation des jeunes les éduquant à être des hommes et des femmes pour les autres, face aux réalités de notre temps?» La réponse doit nécessairement être adaptée à de nombreuses cultures ; elle doit être utilisable dans des situations différentes ; elle doit être applicable aux différentes disciplines; elle doit faire appel à des styles et à des préférences multiples. Ce qui est le plus important est qu'elle doit parler aux professeurs des réalités aussi bien que de l'idéal de l'enseignement. De plus, tout ceci doit être fait en portant un regard particulier sur l'amour préférentiel des pauvres, lequel caractérise la mission de l'Eglise aujourd'hui. C'est là un rude défi que l'on ne peut écarter, parce qu'il va au coeur de ce qu'est l'apostolat de l'éducation jésuite. La solution n'est pas simplement d'exhorter nos professeurs et administrateurs à un plus grand don d'eux-mêmes. Bien plutôt, ce dont nous avons besoin, c'est de modèles nous apprenant comment procéder pour promouvoir le but de l'éducation jésuite, d'un exemple type qui s'adresse au processus enseigner/apprendre, qui concerne le rapport enseignant/enseigné, qui a une signification et une application concrète pour la classe.

Le premier décret de la 33e Congrégation Générale de la Compagnie de Jésus, «Compagnons de Jésus envoyés dans le monde d'aujourd'hui», encourage les jésuites à un discernement apostolique régulier de leur ministère, aussi bien des ministères traditionnels que des nouveaux ministères. Un tel examen, est-il recommandé, doit être attentif à la Parole de Dieu et tirer son inspiration de la tradition ignatienne. De plus, il doit permettre une transformation de nos schèmes habituels de pensée par une constante relation entre expérience, réflexion et action3. C'est là que nous trouvons l'esquisse d'un modèle pour donner vie aux Caractéristiques de l'éducation jésuite dans nos écoles aujourd'hui, en recourant à une manière de procéder qui est parfaitement en accord avec le but de l'éducation jésuite et totalement dans la ligne de la mission de la Compagnie de Jésus. Notre attention se porte dès lors sur un modèle ignatien qui donne la prééminence à une constante interaction entre EXPERIENCE, REFLEXION ET ACTION.

La pédagogie des Exercices Spirituels

 
Un trait distinctif du modèle pédagogique ignatien est que, compris à la lumière des Exercices Spirituels de saint Ignace, il devient non seulement la description exacte d'une constante interrelation entre expérience, réflexion et action dans les rapports entre enseignant
et enseigné, mais aussi le portrait idéal de la relation dynamique entre enseignant et enseigné dans le chemin parcouru par ce dernier pour acquérir toujours davantage connaissance et liberté.
 
Les Exercices Spirituels d'Ignace sont un petit livre qui n'a jamais été fait pour être lu, du moins comme le sont la plupart des livres. Bien plutôt, il était fait pour être utilisé comme un chemin à suivre pour en guider d'autres au travers des expériences de la prière, expériences au sein desquelles ils pourraient rencontrer le Dieu vivant et converser avec Lui, affronter courageusement la vérité des valeurs et des croyances qui sont les leurs, vers le choix libre et délibéré concernant l'avenir de leur vie. Les Exercices Spirituels, soigneusement composés et annotés dans le petit manuel d'Ignace, ne sont pas faits pour être de pures activités intellectuelles ou des pratiques de dévotion. Au lieu de cela, ce sont des exercices rigoureux de l'esprit totalement engagé dans le corps, l'intelligence, le coeur et l'âme de l'homme. Ainsi ne propose-t-il pas seulement des sujets à bien peser, mais aussi des réalités qui doivent être contemplées, des scènes qui doivent être imaginées, des sentiments qui doivent être évalués, des possibilités qui doivent être explorées, des options qui doivent être considérées, des alternatives qui doivent être pesées, des jugements auxquels il faut aboutir et le choix d'actions qui doivent être tout entières faites dans le but exprès d'aider chacun à chercher et à trouver la volonté de Dieu à l'oeuvre dans une radicale mise en ordre de sa vie.
 
Une dynamique fondamentale des Exercices d'Ignace est un appel continuel à réfléchir sur l'ensemble de l'expérience vécue dans la prière en vue de discerner où conduit l'Esprit de Dieu. Ignace demande avec insistance qu'on réfléchisse sur toute expérience humaine, ceci étant un moyen essentiel de valider l'authenticité de celle-là ; en effet, sans une réflexion prudente, on peut bien vite se tromper, et sans une réflexion attentive, la signification de l'expérience faite peut être négligée ou jugée sans importance. C'est seulement après une réflexion adéquate sur l'expérience et après une appropriation intérieure de la signification et des implications de ce que l'on étudie qu'on peut avancer librement et en toute confiance vers les démarches appropriées permettant de choisir ce qui favorise la croissance intégrale de chacun en tant qu'être humain. Aussi la réflexion est pour Ignace le pivot du mouvement par lequel on passe de l'expérience à l'action, si bien que la responsabilité première qu'il met entre les mains du directeur ou du guide de ceux qui sont engagés dans les Exercices Spirituels est celle de faciliter leurs progrès dans la réflexion.
 
Pour Ignace, la dynamique vitale des Exercices Spirituels est la rencontre personnelle avec l'Esprit de vérité. Il n'est pas surprenant, en conséquence, que nous trouvions dans ces principes et directives pour guider dans le déroulement des Exercices Spirituels une description parfaite du rôle pédagogique du professeur comme étant celui dont le travail n'est pas simplement d'informer, mais d'aider l'élève à progresser dans la vérité4. Pour utiliser avec succès le Modèle pédagogique ignatien, les professeurs doivent être conscients de leur propre expérience, de leurs attitudes et de leurs opinions, par crainte d'imposer leurs propres idées à leurs étudiants. (cfr. § 111).
 
 
Relation Professeur-Etudiant
 
Dès lors, si l'on applique le modèle ignatien à la relation entre enseignant et enseigné dans l'éducation jésuite, le premier rôle de l'enseignant est de faciliter un rapport croissant de l'enseigné avec la vérité, spécialement en ce qui concerne le sujet qui est étudié sous l'influence de l'enseignant guidant l'enseigné. L'enseignant crée les conditions, pose les bases et fait naître les occasions d'une constante interrelation entre EXPERIENCE, REFLEXION et ACTION de l'élève.
 
Partant de l'EXPERIENCE, le professeur crée les conditions dans lesquelles les élèves récoltent et rassemblent le matériau de leur expérience personnelle afin d'exprimer ce qu'ils comprennent déjà en termes de faits, de sentiments, de valeurs, de vues et d'intuitions qu'ils appliquent à la matière qui leur est proposée. Ensuite le professeur guide les élèves dans une assimilation de nouvelles informations et d'autres expériences, en sorte que leurs connaissances croîtront en étendue et en vérité. Le professeur pose les fondements pour apprendre en introduisant les élèves aux pratiques et aux techniques de la REFLEXION. Ici on use de la mémoire, de l'intelligence, de l'imagination et des sentiments pour saisir la signification et la valeur essentielle de ce qui est étudié, pour découvrir sa relation avec d'autres facettes de la connaissance et de l'activité humaine, pour apprécier ses implications dans une recherche permanente de la vérité. La réflexion doit être un processus de formation et de libération qui forme de telle sorte la conscience des élèves - leurs attitudes, valeurs et croyances habituelles comme aussi leurs manières de penser - qu'ils sont poussés à passer du savoir à l'ACTION. Le rôle du professeur est alors de voir que des occasions sont données qui provoqueront l'imagination et l'exercice de la volonté des étudiants à choisir la meilleure forme possible d'action pour tirer les conséquences de ce qu'ils ont appris et pour les réaliser. Ce qu'ils font comme résultat de cela sous la direction du professeur, bien que cela ne puisse pas immédiatement transformer le monde en une grande communauté de justice, de paix et d'amour, doit du moins être un pas dans cette direction et vers ce but, même si cela conduit simplement à de nouvelles expériences, à d'autres réflexions et aux actions qui s'ensuivent dans le domaine alors examiné.
 
La constante interrelation, dès lors, entre EXPERIENCE, REFLEXION et ACTION dans la dynamique enseignant/enseigné d'une classe est au coeur de la pédagogie ignatienne. C'est notre manière de procéder dans les écoles jésuites lorsque nous accompagnons l'élève dans son itinéraire pour devenir un être pleinement humain. C'est le modèle pédagogique ignatien que chacun de nous peut appliquer aux matières que nous enseignons et aux programmes que nous suivons, en sachant bien que cela doit être adapté et appliqué à nos situations personnelles et déterminées.
 
 
Le modèle ignatien
 
Le modèle ignatien d'expérience, de réflexion et d'action suggère tout un ensemble de moyens avec lesquels les professeurs peuvent accompagner leurs élèves afin de faciliter leurs études et leurs progrès par des rencontres avec la vérité et par des explorations du sens de l'homme. C'est un modèle qui peut donner une réponse plus qu'adéquate aux questions critiques d'éducation que nous rencontrons aujourd'hui. C'est un modèle qui a en lui-même la possibilité d'aller au-delà d'une pure théorie pour devenir un outil concret et un instrument efficace, qui fait toute la différence dans la manière dont nous enseignons et dans la manière dont nos élèves apprennent. Le modèle : expérience, réflexion et action, n'est pas seulement une idée intéressante qui vaut la peine de bien des échanges ; ce n'est pas non plus simplement une proposition étrange demandant de longs débats. C'est bien plutôt un modèle ignatien, à la fois nouveau et familier, de l'éducation jésuite, une manière de procéder que nous pouvons tous suivre avec confiance dans nos efforts pour aider nos élèves à grandir vraiment en tant qu'êtres humains ayant compétence, conscience et compassion.
 
Un aspect important du modèle ignatien est l'introduction de la réflexion comme dynamisme essentiel. Pendant des siècles, il est allé de soi que l'éducation consistait avant tout en l'acquisition de connaissances accumulées à partir de cours et de démonstration5. L'enseignement a suivi un modèle ancien de communications dans lequel l'information est transmise et la connaissance passe de l'enseignant à l'enseigné. Les élèves entendent une leçon clairement présentée et entièrement expliquée, et le professeur fait appel, de la part des élèves, à une activité qui consistera à montrer, fréquemment en récitant de mémoire, que ce qui a été communiqué a vraiment été assimilé. Bien que la recherche, tout au long des deux dernières décennies, ait prouvé maintes et maintes fois, études après études, qu'apprendre efficacement est le fruit de l'interrelation de celui qui apprend avec l'expérience, cependant bien des enseignants se limitent encore au modèle d'une instruction basée sur deux étapes: passer de l'EXPERIENCE à l'ACTION, type d'enseignement dans lequel le professeur joue un rôle bien plus actif que l'élève6. Ce modèle est souvent suivi quand le développement des techniques de mémorisation pour les élèves est le but pédagogique premier. Comme type d'enseignement dans l'éducation jésuite, c'est là, cependant, quelque chose de sérieusement déficient pour deux raisons :
 
Dans les écoles jésuites, on attend de l'expérience faite par celui qui apprend qu'elle dépasse des connaissances apprises par coeur pour atteindre des méthodes d'études plus complexes : comprendre, appliquer, analyser, synthétiser, évaluer.
 
Si apprendre devait s'arrêter là, ce ne serait pas ignatien. En effet serait absent l'élément REFLEXION, dans lequel les élèves sont amenés à considérer la signification et l'importance humaine de ce qu'ils étudient et à intégrer cette signification comme élèves responsables qui grandissent en tant qu'êtres dotés de compétence, de conscience et de compassion.
 
 
 
Dynamiques du modèle ignatien
 
Un modèle pédagogique ignatien complet doit prendre en compte le contexte dans lequel on apprend aussi bien que le processus le plus explicitement pédagogique. De plus il doit souligner les manières d'encourager toute ouverture à un développement, même après que l'élève est arrivé au terme de l'enseignement personnellement reçu. Ceci inclut cinq étapes : CONTEXTE, EXPERIENCE, REFLEXION, ACTION, EVALUATION.
 
CONTEXTE DE L'ETUDE : Avant d'entreprendre de diriger quelqu'un dans les Exercices Spirituels, Ignace voulait toujours connaître son attitude concernant la prière, concernant Dieu. Il savait combien il était important d'être ouvert aux mouvements de l'Esprit si l'on voulait tirer quelque fruit de l'itinéraire que l'âme allait suivre. Et à partir d'une telle connaissance avant la retraite, Ignace jugeait de l'aptitude à commencer celle-ci, et jugeait s'il tirerait profit des Exercices complets ou d'une expérience plus courte.
 
Dans les Exercices Spirituels, Ignace souligne que les expériences du retraitant doivent toujours être prises comme cadre et contexte des exercices que l'on va faire. En conséquence, la responsabilité du directeur ne se limite pas à choisir les exercices lui semblant les plus valables et les plus adaptés ; mais il doit les modifier et les adapter pour qu'ils s'appliquent directement au retraitant. Ignace encourage celui qui donne les Exercices Spirituels à se familiariser autant que possible à l'avance avec les expériences vécues par le retraitant, en sorte que pendant la retraite elle-même ce directeur soit mieux armé pour aider le retraitant dans le discernement des mouvements de l'Esprit.
 
De la même manière,le soin et le souci personnel de chacun, - ce qui est la marque propre de l'éducation jésuite - demandent que le professeur soit le plus possible au courant de l'expérience de la vie de l'élève. Etant donné que l'expérience humaine, toujours au point de départ dans une pédagogie ignatienne, ne se fait jamais dans le vide, nous devons connaître autant que nous le pouvons le contexte réel dans lequel se situe ce qui est enseigné et ce qui est appris. En tant qu'enseignants, il nous faut donc comprendre le monde des élèves, y compris la manière dont famille, amis, condisciples, cultures et moeurs des jeunes, comme aussi pressions sociales, vie à l'école, politique, économie, religion, mass-media, art, musique et autres réalités ont un impact sur ce monde et atteignent l'élève pour le meilleur et pour le pire. De temps en temps nous devons vraiment travailler sérieusement avec les élèves pour réfléchir sur les réalités du contexte qui caractérisent nos deux mondes. Quelles sont les forces à l'oeuvre dans ceux-ci ? Comment font-ils l'expérience de ces forces influant sur leurs attitudes, leurs valeurs et leurs croyances, et façonnant nos manières de percevoir, de juger et de choisir? Comment les expériences du monde affectent-elles la manière même dont les élèves étudient, contribuant à façonner leurs schèmes habituels de pensée et leurs actions? Quels pas concrets peuvent-ils et sont-ils prêts à faire pour parvenir à une plus grande liberté et maîtrise de leur destinée?
 
Pour qu'une telle relation à la fois authentique et vraie fleurisse entre l'enseignant et l'élève, sont nécessaires une confiance et un respect mutuels qui grandiront grâce à une expérience continuelle de l'autre en tant qu'authentique compagnon dans l'entreprise d'apprendre. Cela signifie aussi que l'on a pleinement conscience et perception de l'environnement institutionnel de l'école ou du centre d'enseignement ; que, en tant qu'enseignant et administrateur, on est ouvert et attentif au complexe et souvent subtil réseau de normes, d'attentes, de comportements et de relations qui constituent l'atmosphère dans laquelle on apprend.
 
Eloges, respect et service doivent marquer les relations qui existent, non seulement entre professeurs et élèves, mais aussi parmi tous les membres de la communauté éducative. Des écoles jésuites idéales doivent être des lieux où les gens sont des gens que l'on croit, que l'on honore et dont on prend soin ; des lieux où les talents naturels et les capacités créatives de chacun sont reconnus et loués; des lieux où les participations et les réalisations de chacun sont appréciées ; des lieux où chacun est traité en toute équité et justice; des lieux où des sacrifices en faveur des économiquement pauvres, des socialement exclus et de ceux qui sont éducativement désavantagés sont choses communes ; des lieux où chacun d'entre nous trouve le défi, l'encouragement et le soutien dont nous avons besoin pour parvenir à la pleine réalisation personnelle de l'excellence ; des lieux où nous nous aidons les uns les autres et travaillons ensemble avec enthousiasme et générosité, essayant de réaliser concrètement en paroles et en actions l'idéal que nous voulons pour nos élèves et pour nous-mêmes.
 
Les professeurs, aussi bien que les autres membres de la communauté éducative, doivent donc prendre en compte :
 
Le contexte réel de la vie de l'élève, c'est-à-dire la famille, les camarades, la situation sociale, l'institution éducative elle-même, la politique, l'économie, le climat culturel, la situation de l'Eglise, les mass-media, la musique et les autres réalités. Toutes ces choses ont un impact sur l'élève pour le meilleur et pour le pire. De temps en temps, il sera utile et important d'encourager les élèves à réfléchir sur les éléments de leur contexte dont ils font l'expérience, à réfléchir comment ces éléments affectent leurs attitudes, leurs manières de percevoir, de juger, de choisir. Ceci sera spécialement important quand les élèves traitent de questions qui vraisemblablement provoqueront de fortes réactions de la sensibilité.
 
Le contexte socio-économique, politique et culturel dans lequel un élève grandit peut sérieusement affecter sa croissance en tant qu'homme pour les autres. Par exemple, une culture caractérisée par une pauvreté endémique habituellement affecte d'une manière négative ce qu'un élève peut attendre de succès dans les études; des régimes politiques oppressifs découragent une recherche concernant leurs idéologies dominantes. Ces réalités et nombre d'autres facteurs peuvent restreindre la liberté que la pédagogie ignatienne encourage.
 
L'environnement    institutionnel    de    l'école    ou    du    centre d'enseignement, c'est à dire le réseau complexe et souvent subtil de normes, d'attentes et spécialement de relations qui forment l'atmosphère de la vie scolaire. Une récente étude des écoles catholiques fait apparaître l'importance d'un environnement scolaire positif. Dans le passé, les améliorations de l'éducation religieuse dans nos écoles ont ordinairement été recherchées en mettant en place de nouveaux programmes, des aides audio-visuelles et des manuels bien adaptés. Toutes ces initiatives donnent quelques résultats. Cependant, la plupart réalisent moins que ce qu'elles promettaient. Les résultats d'une recherche récente suggèrent que le climat à l'école peut bien être la condition préalable indispensable avant que l'on puisse même commencer une éducation aux valeurs, et que l'on doit donner une bien plus grande attention à l'environnement scolaire dans lequel se situent le développement moral et la formation religieuse des adolescents. Concrètement, le souci de la qualité des études, la confiance, le respect des autres en dépit des différences d'opinion, l'attention à chacun, le pardon et la claire manifestation que l'école croit dans le Transcendant : voilà ce qui caractérise un environnement scolaire visant à une croissance humaine intégrale. L'école jésuite doit être une franche communauté de foi d'élèves,dans laquelle peuvent s'épanouir d'authentiques relations personnelles entre maîtres et élèves. En l'absence de telles relations une grande partie de la force exceptionnelle de notre éducation serait perdue. En effet, une authentique relation de confiance et d'amitié entre maîtres et élèves est une condition et une attitude indispensable pour tout progrès dans un engagement aux valeurs. Ainsi l'alumnorum cura personalis, c'est-à-dire un authentique amour et un soin personnel de chacun de nos élèves, est essentiel pour un environnement qui favorise le modèle pédagogique ignatien proposé.
 
les concepts préalablement acquis que les élèves apportent avec eux au début du processus même de l'étude. Leurs points de vue et les manières de voir personnelles qu'ils peuvent avoir acquises lors d'une étude antérieure ou qu'ils ont spontanément prises dans leur environnement culturel, comme aussi leurs sentiments, leurs attitudes et les valeurs concernant la matière à étudier font partie du contexte concret dans lequel ils étudient.
 
EXPERIENCE signifiait pour Ignace «goûter les choses intérieurement». Cela demande en premier lieu de connaître les faits, les concepts, les principes. Cela exige que l'on examine de près les connotations et les nuances des mots et des événements, qu'on analyse et pèse les idées, que l'on raisonne. C'est seulement au prix d'une intelligence attentive de ce qui est considéré que l'on peut parvenir à une juste appréciation de ce que cela signifie. Mais l'expérience ignatienne va bien plus loin qu'une simple saisie intellectuelle. Ignace y insiste : toute la personne - intelligence, coeur et volonté - doit participer à l'expérience par laquelle on apprend. Il encourage l'usage de l'imagination et des sentiments aussi bien que de l'intelligence dans cette expérience. Ainsi sont incluses les dimensions affectives autant que les dimensions cognitives de la personne humaine, parce que si ce que l'on ressent intérieurement n'est pas uni à ce que l'on saisit intellectuellement, ce que l'on apprend ne poussera pas à agir. Par exemple, c'est une chose que reconnaître cette vérité que Dieu est Père. Mais pour que cette vérité vive et devienne efficace. Ignace voudrait que nous sentions la tendresse avec laquelle le Père de Jésus nous aime, prend soin de nous, nous pardonne. Et cette expérience plus complète peut nous pousser à saisir que Dieu partage cet amour avec tous nos frères et soeurs de la famille humaine. Dans les profondeurs de notre être, nous pouvons être poussés à nous soucier des autres dans leurs joies et dans leurs peines, dans leurs espérances, leurs épreuves, leur pauvreté, les situations injustes où ils se trouvent, et à vouloir faire quelque chose pour eux. Car ici c'est le coeur autant que la tête, c'est toute la personne humaine qui est concernée.
 
Ainsi utilisons-nous le mot EXPERIENCE pour décrire toute activité dans laquelle, en plus d'une saisie cognitive de la matière considérée, une sensation de nature affective est éprouvée par l'élève. Dans toute expérience, des données sont perçues par l'élève d'une manière cognitive. En posant des questions, en imaginant, en examinant ses éléments et ses relations, l'élève organise ces données en un tout ou en une hypothèse. «Qu'est-ce que cela?» «Est-ce comme quelque chose que je connais déjà?» «Comment cela marche-t-il?» Et même sans un choix délibéré il se produit une réaction affective concomitante, par exemple : «J'aime ceci»...»Je suis menacé par cela»;»je ne réussis jamais en ce genre de choses»...»C'est intéressant»... «Bah! cela m'ennuie».
 
En commençant de nouveaux cours, les professeurs perçoivent souvent comment les sentiments des élèves peuvent les pousser à progresser. En effet, il est rare qu'un élève fasse l'expérience de quelque chose de nouveau dans ses études sans se référer à ce qu'il connaît déjà. Des faits et des points de vue nouveaux, des idées et des théories nouvelles présentent souvent comme un défi à ce que l'élève comprend parvenu à ce point. Cela est un appel à progresser, à une plus grande intelligence pouvant modifier ou changer ce qui a été perçu comme une connaissance adéquate. La confrontation de connaissances nouvelles avec ce que l'on a déjà appris ne peut pas se limiter simplement à apprendre par coeur ou à absorber passivement de nouvelles données, surtout si cela ne s'accorde pas exactement avec ce que l'on connaît. Un élève peut être bouleversé de voir qu'il ne comprend pas parfaitement . Cela le pousse à une investigation plus poussée - analyse, comparaison, contraste, synthèse, évaluation - en vue de comprendre toutes sortes d'activités mentales et/ou psychomotrices au sein desquelles des élèves sont à l'affût de saisir plus pleinement la réalité.
 
L'expérience humaine peut être soit directe soit par intermédiaire.
- Directe : C'est une chose que lire un journal faisant le récit d'un ouragan frappant les villes côtières de Porto Rico. Vous pouvez connaître tous les faits : la vitesse du vent, sa direction, le nombre de personnes mortes ou blessées, l'étendue et la situation des dommages causés. Cette connaissance cognitive, cependant, peut laisser le lecteur distant et indifférent aux dimensions humaines de la tempête. Il est tout à fait différent d'être là où le vent souffle, là où l'on sent la force de la tempête, où l'on ressent un danger immédiat pour sa vie, pour sa maison et pour tous ses biens, où l'on éprouve la peur au creux de l'estomac pour sa vie et pour celle de ses voisins, alors que le vent strident vous assourdit. Cet exemple fait clairement voir qu'ordinairement une expérience directe est plus plenière et plus engageante pour la personne. Dans un cadre académique, une expérience directe a lieu ordinairement lors d'expériences interpersonnelles telles que des conversations ou des discussions, des recherches de laboratoire, des voyages d'expérimentation, des activités de service, des activités sportives et d'autres choses de ce genre.

- Par intermédiaire : Mais dans les études une expérience directe n'est pas toujours possible. Apprendre se fait souvent grâce à une expérience par intermédiaire, en lisant ou en écoutant un cours. Pour engager les élèves plus pleinement à un niveau humain dans l'expérience qu'est le fait d'apprendre, les professeurs sont amenés à stimuler l'imagination des élèves et à recourir à leurs sens, en sorte qu'ils puissent saisir plus pleinement la réalité étudiée. L'environnement historique, la prise en compte du temps, des facteurs culturels, sociaux, politiques et économiques affectant la vie des hommes à l'époque qui est étudiée ont besoin d'être pleinement connus. En ce domaine il peut être utile de recourir à des simulations, à des mises en scène, aux moyens audiovisuels et aux autres choses de ce genre.
 
 
REFLEXION. Tout au long de sa vie, Ignace savait qu'il était constamment l'objet de diverses émotions, invitations et alternatives qui étaient souvent contradictoires. Son plus grand effort était d'essayer de découvrir ce qui le mouvait dans chaque situation: la pulsion qui le conduit au bien ou celle qui l'incline au mal ; le désir de servir les autres ou la préoccupation d'une affirmation égoïste de soi. Il devint le maître du discernement qu'il est encore aujourd'hui, parce qu'il réussit à bien distinguer ces différentes motions. Pour Ignace, “discerner” c'était clarifier ses motivations intérieures, les raisons à la base de ses jugements, examiner de près les causes et les implications de ce qu'il expérimentait, peser les options possibles et les évaluer à la lumière de leurs éventuelles conséquences, découvrir ce qui conduit mieux au but désiré : être un être libre qui recherche, trouve et exécute la volonté de Dieu dans chaque situation.
 
A ce niveau de la REFLEXION, la mémoire, l'intelligence, l'imagination et les sentiments sont utilisés pour saisir la signification et la valeur essentielle de ce que l'on étudie, pour découvrir son rapport avec les autres aspects de la connaissance et de l'activité humaine, et pour apprécier ses implications dans une recherche permanente de la vérité et de la liberté. Cette REFLEXION est un processus de formation et de libération. Elle forme la conscience de ceux qui apprennent (leurs croyances, valeurs, attitudes et toute leur manière de penser) en telle sorte qu'ils sont amenés à aller au-delà de la connaissance, à entreprendre une action.
 
Nous utilisons le mot réflexion pour signifier un réexamen attentif d'une matière, d'une expérience, d'une idée, d'un dessein ou de quelque réaction spontanée afin d'en saisir plus pleinement la signification. Ainsi la réflexion est le processus grâce auquel une signification va surgir dans l'expérience humaine :
 
· en comprenant plus clairement les vérités étudiées. Par exemple: “Que présupposent cette théorie de l'atome, cette présentation de l'histoire des indigènes, cette analyse statistique ? Ces présupposés sont-ils valides, sont-ils honnêtes ? d'autres présupposés sont-ils possibles ? Comment la présentation serait-elle différente si l'on faisait d'autres présupposés ?
 
·    en comprenant quelle est la source des sensations ou des réactions qui furent les miennes dans cette considération. Par exemple: “En étudiant cette nouvelle, qu'est- ce qui m'intéresse particulièrement ? Pourquoi ?...” “Qu'est-ce que je trouve qui me trouble dans cette traduction ? Pourquoi ?”
 
·    en approfondissant mon intelligence de ce qu'implique ce que j'ai saisi pour moi-même et pour les autres. Par exemple : “Quels effets pourraient vraisemblablement avoir les efforts pour maîtriser l'effet de serre sur ma vie, sur celle de ma famille et de mes amis,...sur la vie de ceux qui habitent dans des pays pauvres ?”
 
·    en faisant naître des vues personnelles sur les événements, les idées, la vérité ou les distorsions de la vérité, etc. Par exemple: “La plupart des gens pensent qu'un partage plus équitable des ressources du monde est pour le moins désirable, pour ne pas dire un impératif moral. Mon propre style de vie, les choses que je regarde comme m'étant dûes peuvent contribuer au déséquilibre actuel. Suis-je prêt à reconsidérer ce dont j'ai réellement besoin pour être heureux ?”
 
·    en parvenant à une certaine intelligence de ce que je suis (“Ce qui me pousse et pourquoi?”)...et de ce que je pourrais être par rapport aux autres. Par exemple : “Quels sentiments fait naître en moi ce sur quoi j'ai réfléchi? Pourquoi? Suis-je à l'aise avec cette réaction en moi-même? Pourquoi?...Si je ne le suis pas, pourquoi?”
 
Un des grands défis que le professeur rencontre à ce stade de l'enseignement est d'arriver à formuler des questions qui élargiront la prise de conscience des élèves et les pousseront à considérer le point de vue des autres, spécialement des pauvres. Ici la tentation pour un professeur peut être d'imposer ses points de vue. S'il en est ainsi, grand est le risque de manipulation ou d'endoctrinement (démarche absolument pas ignatienne), et un professeur doit éviter tout ce qui conduirait à ce genre de risque. Mais le défi demeure d'ouvrir la sensibilité des élèves aux implications humaines de ce qu'ils apprennent en une manière telle qu'on dépasse les expériences intérieures et qu'on provoque ainsi en eux une croissance dans l'excellence humaine.
 
En tant qu'éducateurs, nous insistons pour que tout cela soit fait dans un respect total de la liberté de l'élève. Il est possible que, même après ce processus de réflexion, un élève puisse décider d'agir égoïstement. Nous reconnaissons que cela est possible, étant donné certains facteurs du développement, une insécurité ou d'autres éléments ayant ordinairement un impact sur la vie de l'élève ; il peut alors ne pas être à même de se développer dans le sens d'un plus grand altruisme, de la justice, etc... Même Jésus a affronté de telles réactions, par exemple avec le jeune homme riche. Nous devons respecter la liberté qu'a l'individu de ne pas vouloir grandir. Nous sommes des semeurs de graines ; la Providence de Dieu peut faire germer les graines au temps voulu.
 
La réflexion que nous envisageons peut et doit être élargie chaque fois qu'il convient pour permettre aux élèves et aux professeurs de partager leurs réflexions et, par là même, d'avoir la possibilité de se développer ensemble. Une réflexion partagée peut renforcer, provoquer, encourager une re-considération, et donner en fin de compte une plus grande certitude que l'action à entreprendre (individuellement ou ensemble) est plus étendue et plus en cohérence avec ce que signifie être un être pour les autres.
 
(Les mots EXPERIENCE et REFLEXION peuvent être définis d'une manière différente selon les diverses écoles de pédagogie, et nous sommes d'accord avec la tendance qui existe d'utiliser ces mots et d'autres semblables pour exprimer ou promouvoir un enseignement qui est personnalisé visant à l'activité de celui qui apprend, et dont le but n'est pas simplement une assimilation de la matière proposée mais aussi le développement de la personne. Cependant, dans la tradition ignatienne de l'éducation, ces mots sont particulièrement significatifs parce qu'ils expriment une «manière de procéder» qui est plus efficace pour réaliser une «formation intégrale» de l'élève, c'est-à-dire une manière d'expérimenter et de réfléchir qui conduit l'élève non seulement à fouiller profondément le sujet lui-même, mais à en regarder la signification dans la vie, à faire des choix personnels (ACTION) en fonction d'une vue d'ensemble du monde. D'un autre côté, nous savons qu'expérience et réflexion sont inséparables. Il n'est pas possible d'avoir une expérience sans un certain degré de réflexion, et toute réflexion comporte avec elle certaines expériences intellectuelles ou affectives, certaines vues et lumières, une vision du monde, de soi-même et des autres.)
 
 
 
ACTION.PourIgnaceletestdécisifdel'amourestcequel'onfait,nonpasceque l'on dit. «L'amour se manifeste dans les actes et non pas dans les mots». La force des Exercices Spirituels était précisément de rendre le retraitant capable de connaître la volonté de Dieu et de le faire librement. Aussi Ignace et les premiers jésuites se préoccupaient-ils surtout de la formation d'attitudes, de valeurs, d'idéaux chez les élèves, en fonction de quoi ils prendraient des décisions dans une grande diversité de situations concernant les actions qui devaient être faites. Ignace voulait des écoles jésuites formant des jeunes qui pourraient et voudraient participer intelligemment et efficacement au bien de la société.
 
· Une réflexion sur la pédagogie ignatienne serait mutilée si elle se limitait à l'intelligence et à des réactions affectives. La réflexion ignatienne, qui commence avec la réalité de l'expérience, s'achève nécessairement avec une même réalité à réaliser. La réflexion ne prend toutes ses dimensions et toute sa force que lorsqu'elle favorise décision et engagement.
 
·    Dans sa pédagogie, Ignace souligne le stade affection/évaluation du processus que l'on suit en apprenant, parce qu'il est conscient que, en plus de faire que l'on «sente et goûte», c'est-à-dire qu'on approfondit son expérience, les sentiments éprouvés sont des forces motivantes qui poussent l'intelligence d'une chose à agir et à s'engager. Et il doit être clair qu'Ignace ne cherche pas seulement action ou engagement. Bien plutôt, tout en respectant la liberté humaine, il s'efforce d'encourager une décision et un engagement au magis , un meilleur service de Dieu, de nos frères et de nos soeurs.
 
·    Le mot «action» renvoie ici à une croissance humaine intérieure ayant comme base une expérience sur laquelle on a réfléchi ainsi que ses manifestations extérieures. Il comprend deux étapes :
 
Des choix intériorisés.
Après la réflexion, celui qui apprend considère l'expérience d'un point de vue personnel et humain. Ici, à la lumière d'une intelligence cognitive de l'expérience et des affections qui en découlent (positives ou négatives), la volonté sera mue. Les significations perçues et jugées présentent des choix à faire. De tels choix peuvent se présenter quand je décide qu'une vérité doit être mon point de référence personnelle, une attitude ou une prédisposition qui affectera toutes décisions. Cela peut prendre la forme d'une clarification progressive de mes priorités. C'est parvenu à ce point que l'élève choisit de faire sienne la vérité, tout en demeurant ouvert à tout ce à quoi la vérité pourrait conduire.
 
Des choix manifestés extérieurement.
Ces significations, attitudes, valeurs qui ont été intériorisées font alors partie de la personne et poussent l'élève à agir, à faire quelque chose qui soit en accord avec cette nouvelle conviction. Si la signification était positive, l'élève cherchera probablement à mettre en valeur ces conditions ou circonstances dans lesquelles s'est située son expérience première. Par exemple, si le but de l'éducation physique a été atteint, l'élève inclinera à entreprendre un sport régulier pendant son temps libre. S'il a pris goût à l'histoire de la littérature, il peut prendre la résolution de consacrer du temps à la lecture. S'il découvre qu'il vaut la peine d'aider ses compagnons dans leurs études, il peut se porter volontaire pour participer à une activité de soutien pour des élèves plus faibles. S'il saisit mieux les besoins des pauvres après des expériences de service dans un ghetto et après avoir réfléchi sur ces expériences, cela pourrait influer sur son choix d'une carrière ou le pousser à être volontaire pour un travail en faveur des pauvres. Si la signification était négative, l'élève cherchera probablement à ajuster, à changer, à restreindre ou à supprimer les conditions et les circonstances dans lesquelles son expérience première a eu lieu. Par exemple, si l'élève détermine les raisons de son manque de succès dans le travail scolaire, il peut décider d'améliorer ses habitudes de travail pour éviter des échecs répétés.
 
 
EVALUATION. Tous les professeurs savent que, de temps en temps, il importe d'évaluer les progrès des élèves dans leur travail scolaire. Des interrogations quotidiennes, des tests hebdomadaires ou mensuels, des examens semestriels sont des instruments d'évaluation familiers pour déterminer dans quelle mesure les connaissances sont maîtrisées et les méthodes de travail réalisées. Des tests faits périodiquement renseignent le professeur et l'élève à la fois sur les progrès intellectuels et les lacunes qu'il sera nécessaire de combler pour maîtriser une discipline. Ce genre de rétroaction peut renseigner le professeur sur l'éventuelle nécessité de recourir à d'autres méthodes d'enseignement ; cela donne aussi des occasions particulières de personnaliser les encouragements et les conseils à donner à chaque élève pour améliorer ses résultats (par exemple, en révisant ses habitudes de travail).
 
Cependant la pédagogie ignatienne vise à une formation qui inclut, certes, mais dépasse aussi la maîtrise de disciplines académiques. Il s'agit ici pour nous d'un progrès d'élèves bien formés en tant qu'hommes ou femmes pour les autres. Ainsi une évaluation périodique du progrès des élèves concernant des attitudes, des priorités et des activités en accord avec le fait d'être un homme pour les autres est chose essentielle. Une estimation d'ensemble ne se fera probablement pas aussi fréquemment qu'une évaluation des connaissances; mais on doit le prévoir à des moments déterminés, au moins une fois par trimestre. Un professeur attentif percevra beaucoup plus fréquemment tout ce qui marque un progrès ou un manque de progrès dans les échanges en classe, dans la générosité avec laquelle les élèves répondent aux besoins de tous, etc...
 
Il y a bien des manières permettant d'évaluer cette croissance humaine. Tous doivent tenir compte de l'âge, des talents et du niveau de développement de chaque élève. Ici les rapports de confiance et de respect mutuels qui doivent exister entre élèves et professeurs établissent un climat favorable à des échanges sur les progrès. Une approche pédagogique fructueuse comprend un tutorat, un examen du journal d'un élève, une auto-évaluation de l'élève à la lumière de profils types de progrès personnels, mais aussi un examen des activités de loisirs et des services rendus aux autres.
 
Ceci peut être pour le professeur un moment privilégié pour féliciter et encourager un élève pour les progrès qu'il a faits, comme aussi une occasion pour stimuler une réflexion plus poussée face aux défaillances ou aux lacunes dans la manière de voir les choses de l'élève. Le professeur peut stimuler un réexamen nécessaire en posant des questions judicieuses, en proposant de nouveaux points de vue, en ajoutant les informations nécessaires et en suggérant des manières de voir les questions en partant d'autres points de vue.
 
En son temps, les attitudes, priorités et décisions de l'élève peuvent être réexaminées à la lumière d'expériences plus poussées, de changements dans son contexte, de défis nés de développements sociaux et culturels, etc. En posant délicatement des questions le professeur peut faire ressortir la nécessité de décisions ou d'engagements plus adéquats, - ce qu'Ignace de Loyola appelait le magis. Cette prise de conscience de la nécessité de progresser peut aider le professeur à entrer de nouveau dans le cycle du Modèle ignatien d'enseignement.
 
 
 
Un processus permanent
 
Cette manière de procéder peut ainsi devenir un modèle permanent et efficace d'enseignement comme aussi un stimulant à rester ouvert à un progrès tout au long de la vie.
 
--->--- Expérience --->---
Evaluation    Réflexion
-----<--- Action ----<-----
 
Une reprise du Modèle ignatien peut aider au progrès de l'élève :
qui apprendra progressivement à discerner et à savoir choisir les expériences à faire ;
qui est à même de tirer pleinement profit et richesse de sa réflexion sur ces expériences ; et
qui devient ainsi personnellement motivé par le fait qu'il a pleinement à faire lui-même des choix conscients et responsables.
 
 De plus - et c'est peut-être ce qui est le plus important -, l'usage cohérent du Modèle ignatien peut avoir pour résultat l'acquisition pour toute la vie d'habitudes d'apprendre, encourageant une attention à l'expérience, une intelligence à partir de la réflexion et dépassant l'intérêt personnel, des critères pour une action responsable. De tels effets formateurs étaient caractéristiques des anciens élèves des jésuites dans l'ancienne Compagnie. Ils sont peut-être encore plus nécessaires pour des citoyens responsables du troisième millénaire.
 
 
Traits caractéristiques du Modèle pédagogique ignatien
 
Nous sommes naturellement ouverts à une pédagogie ignatienne qui est en accord avec les caractéristiques d'une éducation jésuite et avec nos propres objectifs en tant que professeurs. La continuelle interréaction entre EXPERIENCE, REFLEXION et ACTION nous donne un modèle pédagogique adapté à nos cultures et à notre temps. C'est là un modèle solide et attirant qui concerne directement le processus enseigner/apprendre. C'est une manière de procéder soigneusement réfléchie, s'appuyant incontestablement et logiquement sur les principes de la spiritualité ignatienne et de l'éducation jésuite. Elle maintient sans cesse l'importance intégrale des relations entre celui qui enseigne, celui qui apprend et la matière étudiée. C'est une approche globale et complète. Chose la plus importante, ce modèle aborde aussi bien la réalité que l'idéal de l'enseignement selon des modes pratiques et systématiques, tout en proposant en même temps les moyens essentiels qui nous sont nécessaires pour faire face à notre mission éducative : former des jeunes-pour-les-autres. Tout en continuant à travailler à faire de la pédagogie ignatienne une caractéristique essentielle de l'éducation jésuite dans nos écoles et dans nos classes, il peut être bon de rappeler ce qui suit concernant ce Modèle lui-même.
 
Le Modèle pédagogique ignatien concerne tous les programmes. En tant qu'attitude, mentalité et approche importante qui inspirent tout notre enseignement, le Modèle pédagogique ignatien s'applique à tous les niveaux d'étude. Il est facilement applicable même aux programmes imposés par les gouvernements ou les autorités locales. Il ne requiert pas qu'on y ajoute un seul cours, mais il exige la présence intérieure de nouvelles approches dans notre manière d'enseigner les cours qui existent.
 
Le Modèle pédagogique ignatien s'applique à tous les degrés d'enseignement. Il s'applique non seulement aux disciplines scolaires, mais aussi aux domaines non-scolaires de l'école, comme sont les activités extra-scolaires, des activités sportives, les programmes de service de la communauté, les retraites, etc. Au sein d'un sujet déterminé (histoire, mathématiques, langues, littérature, physique, arts, etc.), le Modèle peut être un guide très utile pour préparer des leçons, pour dresser des plans et pour mettre au point des activités instructives. Le Modèle peut beaucoup pour aider les élèves à établir des liens entre les disciplines et à l'intérieur de celles-ci, pour intégrer ce qu'ils apprennent avec ce qui s'est passé auparavant. Utilisé d'une manière cohérente dans tout le programme d'une école, le Modèle rend cohérent l'ensemble de l'expérience éducative de l'élève. Une application régulière du Modèle aux situations de l'enseignement contribue à la formation chez les élèves de l'habitude naturelle de réfléchir sur l'expérience avant d'agir.
 
Le Modèle pédagogique ignatien promet d'aider les professeurs à être de meilleurs professeurs. Il donne aux professeurs la possibilité d'enrichir le contenu et la structure de ce qu'ils enseignent. Il donne aux professeurs des moyens supplémentaires d'encourager l'initiative des élèves. Il permet aux professeurs d'attendre davantage des élèves, de faire appel à ceux-ci pour qu'ils prennent une plus grande responsabilité dans leurs études et pour être plus actifs. Il aide les professeurs à motiver les élèves en fournissant des occasions et des plans pour inviter les élèves à mettre ce qu'ils étudient en relation avec leurs expériences personnelles du monde.
 
Le Modèle pédagogique ignatien personnalise la manière d'apprendre. Il demande aux élèves de réfléchir sur le sens et la signification de ce qu'ils étudient. Il essaie de motiver les élèves en les faisant entrer comme participants critiques et actifs dans le processus enseigner/apprendre. Il vise à une manière d'apprendre plus personnelle en rapprochant davantage entre elles les expériences de l'élève et celles du professeur. Il invite à une intégration des expériences faites en apprenant dans la classe avec celles de la maison, du travail, de la culture des contemporains, etc.
 
Le Modèle pédagogique ignatien souligne la dimension sociale de l'enseignement et de l'étude. Il encourage une étroite collaboration et un partage matériel des expériences ainsi qu'un dialogue et une réflexion entre élèves. Il établit un rapport entre le travail et le progrès de l'élève et l'interaction personnelle ainsi que les relations humaines. Il propose un mouvement régulier et une avancée vers une action qui affectera la vie des autres pour leur bien. Les élèves apprendront progressivement que leurs expériences les plus riches viennent de leurs relations avec ce qui est humain, de leurs relations avec les hommes et de l'expérience qu'ils font de ceux-ci. La réflexion devra toujours aller dans le sens d'une plus grande appréciation de la vie des autres, ainsi que des actions, de la politique ou des structures qui permettent ou empêchent un progrès mutuel et un développement en tant que membres de la famille humaine. Cela suppose, naturellement, que les professeurs sont conscients de telles valeurs et y sont engagés.
 
 
 
Défis pour la mise en oeuvre d'une pédagogie ignatienne.
 
La réalisation de buts orientés vers des valeurs tels qu'ils sont proposés dans les Caractéristiques de l'éducation jésuite, n'est-pas facile. Considérables sont les défis qui semblent s'opposer à nos buts. En voici quelques-uns :
 
Une vue limitée de l'éducation.
 
Le but de l'éducation est souvent présenté comme étant celui d'une transmission culturelle, c'est-à-dire de transmettre aux nouvelles générations la sagesse accumulée pendant des âges. C'est certainement une fonction importante que d'assurer une cohérence dans les entreprises humaines au sein de toute société et dans la famille humaine en général. Ne pas informer ni former les jeunes à ce que nous avons appris aurait pour résultat que chaque nouvelle génération ait à réinventer toutes choses. En réalité, en de nombreux endroits, la transmission culturelle est le but dominant sinon le seul d'une éducation officielle.
 
Mais dans le monde d'aujourd'hui, marqué par des changements rapides à tous les niveaux des activités humaines et par des systèmes de valeurs et des idéologies en compétition, le but de l'éducation ne peut pas rester ainsi limité, si ce but est effectivement de préparer des hommes et des femmes ayant compétence et conscience, capables de contribuer d'une manière significative à l'avenir de la famille humaine. D'un point de vue purement pragmatique, une éducation se limitant à une transmission culturelle finit par n'être qu'une formation à des réalités désuètes. Cela est clair quand nous considérons les programmes de formation à la technique. Cela, cependant, peut être moins évident quand il s'agit de l'échec rencontré quand on veut détecter les implications humaines de développements qui affectent inévitablement la vie humaine, telles que les manipulations génétiques, la culture de l'image, les nouvelles formes d'énergie, le rôle de groupes de nations émergeant au plan économique et toutes sortes d'innovations promettant le progrès. Nombre de celles-ci font briller l'espérance d'une meilleure vie humaine ; mais à quel prix? On ne peut pas simplement abandonner ces questions à des leaders politiques ou à des capitaines d'industrie; tout citoyen a le droit et la responsabilité de juger et d'agir selon des moyens appropriés pour la communauté humaine en train de se faire. Les hommes ont besoin d'être éduqués à une citoyenneté responsable.
 
C'est pourquoi, en plus d'une transmission culturelle, préparer à la participation significative à un développement culturel est chose essentielle. Hommes et femmes du troisième millénaire demanderont de nouvelles techniques, assurément; mais, chose plus importante, ils demanderont les instruments leur permettant de comprendre et de critiquer tous les aspects de la vie, afin de prendre des décisions (personnelles, sociales, morales, professionnelles, religieuses) qui auront un heureux effet sur toute notre vie. Les critères pour un tel progrès (par le moyen d'une étude, d'une analyse, d'une critique et d'une mise au point de solutions différentes et efficaces) sont inévitablement fondés sur des valeurs. Ceci est vrai, que l'on ait ou non explicitement conscience de ces valeurs. Tout enseignement communique des valeurs, et celles-ci peuvent être, par exemple, promouvoir la justice, ou bien travailler partiellement ou entièrement, allant à contre-courant, à la mission de la Compagnie de Jésus.
 
Ainsi avons-nous besoin d'une pédagogie qui éveille les jeunes au lacis compliqué de valeurs qui sont souvent subtilement déguisées dans la vie moderne - dans la publicité, dans la musique, dans la propagande politique, etc. -, en sorte que les élèves puissent les examiner librement formuler un jugement et prendre des engagements, en toute connaissance de cause.
 
Prédominance du pragmatisme
 
Dans leur désir de parvenir à des progrès économiques, ce qui peut être tout à fait légitime, de nombreux gouvernements mettent l'accent exclusivement sur les éléments pragmatiques de l'éducation. Le résultat est que l'éducation se réduit à la formation à un métier. Cette tendance est souvent encouragée par les intérêts du monde des affaires, même si l'on prétend vanter les buts culturels de l'éducation. En de nombreuses parties du monde,au cours des dernières années, de nombreuses institutions d'enseignement ont fait leur cette étroite perspective de ce qui constitue l'éducation. Il est saisissant de voir, dans le choix que font les étudiants de matières majeures dans les universités, un déplacement considérable, passant des humanités, des sciences sociales et psychologiques, de la philosophie et de la théologie à une focalisation excessive sur les affaires, l'économie, l'ingénierie, ou les sciences physiques et biologiques.
 
Dans une éducation jésuite, nous ne nous contentons pas de déplorer ces faits de la vie actuelle. Ceux-ci doivent être examinés et pris en compte. Nous croyons que presque chaque discipline académique, quand on est honnête avec soi-même, a bien conscience que les valeurs qu'elle transmet dépendent des présupposés de base concernant la personne humaine idéale et la société humaine qui sont pris comme point de départ. Ainsi les programmes d'éducation, l'enseignement et la recherche, les méthodes employées dans les écoles, collèges et universités jésuites sont de la plus haute importance, car nous rejetons toute vision partielle ou déformée de la personne humaine, image de Dieu. Ceci est en contraste déterminé avec les institutions d'éducation qui souvent, inconsciemment, laissent de côté la question centrale de la personne humaine par suite d'approches fragmentaires des spécialisations.
 
Cela signifie que l'éducation jésuite doit insister sur une formation intégrale de ses élèves par les moyens que requièrent des programmes d'études complets comprenant les humanités, la philosophie, les perspectives théologiques, les questions sociales, etc.. en tant que faisant partie de tous les programmes d'éducation spécialisés. De plus, des méthodes pourraient être introduites et fort bien employées au sein des spécialisations pour mettre en relief les implications humaines, éthiques et sociales de ce qui est étudié.
 
Le désir de solutions simples
 
Le désir de rechercher des solutions simples pour des questions et problèmes humains complexes est typique de beaucoup de sociétés aujourd'hui. L'usage répandu de slogans en tant que réponses n'aide pas réellement à résoudre les problèmes. Pas plus que la tendance, que nous voyons en de nombreux pays du monde, à adopter ou bien le fondamentalisme, ou bien à l'autre extrémité le sécularisme. L'une et l'autre attitudes tendent à être réductives ; elles ne satisfont pas vraiment la soif d'un développement humain intégral qu'appellent de tous leurs cris tant de nos frères et de nos soeurs.
 
Clairement, l'éducation jésuite qui vise à former toute la personne doit relever un défi : tracer un chemin, employer une pédagogie évitant ces extrêmes en aidant nos élèves à saisir une vérité plus globale, les implications humaines de ce qu'ils apprennent, en sorte qu'ils puissent plus efficacement participer à la guérison de la famille humaine et à la construction d'un monde qui soit plus humain et plus divin.
 
Les sentiments d'insécurite
 
L'une des raisons majeures contribuant à la recherche généralisée de réponses faciles est l'insécurité dont beaucoup font l'expérience en raison de l'effondrement d'institutions humaines essentielles, qui assuraient normalement le contexte nécessaire pour une croissance humaine. Tragiquement, la famille, la société humaine la plus fondamentale, se désintègre dans bien des pays du monde entier. Dans de nombreux pays du premier monde, un mariage sur deux se termine par un divorce, avec des effets destructeurs pour les conjoints et surtout pour les enfants. Une autre source d'insécurité et de confusion est due au fait que nous faisons l'expérience d'une énorme migration historique des peuples sur la face de la terre. Des millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont déracinés de leur culture propre par suite de l'oppression, de guerres civiles ou de manque d'aliments ou de moyens de gagner leur vie. Les émigrés plus âgés peuvent rester attachés aux éléments de leur héritage culturel et religieux ; mais les jeunes sont souvent soumis à un conflit des cultures et se sentent poussés à adopter les valeurs culturelles dominantes de leur nouvelle patrie afin de pouvoir être acceptés. Et pourtant, au fond du coeur, ils sont incertains au sujet de ces nouvelles valeurs. L'insécurité s'exprime souvent dans une attitude défensive, dans l'égoïsme, dans une attitude «moi d'abord», qui ferme à tout regard sur les besoins des autres. L'accent que le modèle ignatien met sur la réflexion pour parvenir à une signification peut aider des élèves à comprendre les raisons qui sous-tendent les insécurités qu'ils éprouvent et à chercher des moyens plus constructifs de les aborder.
 
Les programmes imposés par les gouvernements
 
A tous ces facteurs vient s'ajouter la réalité d'un pluralisme propre au monde d'aujourd'hui. A la différence des écoles jésuites du 16e siècle, il n'existe plus un programme unique universellement reconnu, comme le Trivium ou le Quadrivium, qui puisse être utilisé comme instrument de formation à notre époque. Les programmes d'aujourd'hui sont, d'une manière normale, le reflet de cultures locales et de besoins locaux variant considérablement. Mais dans nombre de pays les gouvernements prescrivent avec rigueur les cours qui forment le programme des écoles élémentaires et des écoles secondaires. Cela peut être un obstacle à la mise au point d'un programme selon les priorités de formation des écoles.
 
Etant donné que le modèle ignatien d'enseigner un programme requiert un certain style, il approche les sujets existants dans un programme par une attitude intérieure plutôt que par des changements ou des additions aux cours existants. De cette manière, il évite de surcharger les programmes scolaires, en même temps qu'il n'apparaît pas comme quelque chose de superfétatoire se glissant au milieu des matières «importantes». (Cela n'exclut pas la possibilité qu'une unité de valeur spécifique concernant l'éthique ou autre chose semblable ne puisse être à l'occasion conseillée dans un contexte particulier).
 
 
 
 
De la théorie à la pratique : Programmes de développement pour les équipes enseignantes
 
En réfléchissant à ce qui a été proposé ici, certains peuvent se demander comment cela peut être mis en pratique. Après tout, très peu de professeurs pratiquent réellement et continûment une telle méthode. Le fait de ne pas savoir comment faire est probablement l'obstacle majeur à tout changement réel dans le comportement d'un professeur. Les membres de la Commission Internationale de l'Apostolat de l'Education Jésuite peuvent comprendre de telles réserves. Des recherches ont montré que bien des innovations pédagogiques ont sombré précisément à cause de tels problèmes.
 
Aussi sommes-nous convaincus que des programmes de développement pour les équipes enseignantes comprenant une formation suivie sont essentiels dans toute école, province ou région où l'on utilise ce Modèle pédagogique ignatien. L'art d'enseigner n'étant maîtrisé que par la pratique, les professeurs ont besoin non seulement d'une explication des méthodes, mais aussi d'occasions de les mettre en pratique. De plus les programmes de développement pour les équipes enseignantes peuvent armer les professeurs avec tout un ensemble de méthodes pédagogiques appropriées en vue d'une pédagogie ignatienne, dont ils pourront utiliser celles qui sont plus adaptées aux besoins des élèves dont ils sont responsables. Les programmes de développement pour les équipes enseignantes au niveau de la province ou d'une école locale sont donc une partie essentielle et intégrale du Projet pédagogique ignatien.
 
 
 
Quelques aides concrètes pour comprendre le Modèle
 
Les appendices complétant ce document donnent une meilleure intelligence des racines de la pédagogie ignatienne à partir des annotations mêmes d'Ignace (Appendice 1) et du résumé donné par le Père Kolvenbach de certaines méthodes frappantes qui caractérisent l'éducation jésuite (Appendice 2). Une brève liste des divers processus concrets et des méthodes que des professeurs peuvent utiliser à chaque étape du modèle est aussi donnée (Appendice 3). Des formules plus complètes de formation, utilisant ces méthodes pédagogiques, formeront la substance des programmes de développement des équipes enseignantes locales ou régionales pour aider les professeurs à comprendre et utiliser efficacement cette pédagogie.
 
 
 
Invitation à la collaboration
 
Nous comprendrons mieux comment adapter et appliquer le Modèle pédagogique ignatien à la grande diversité des situations et des circonstances éducatives, qui caractérisent les écoles jésuites de par le monde, à mesure que nous travaillerons avec le Modèle pour nos rapports avec les élèves, dans la classe comme en dehors de celle-ci, et que nous découvrirons, grâce à ces efforts, des moyens concrets et pratiques d'utiliser le Modèle favorisant le processus enseigner/ apprendre. On peut, en outre, espérer que bien des manières détaillées et utiles d'utiliser le Modèle pédagogique ignatien feront que celui-ci s'enrichira à l'avenir de l'expérience de professeurs chevronnés, dans son application en des domaines et des disciplines spécifiques. Nous tous qui sommes engagés dans le travail de l'éducation jésuite entendons bien profiter des vues et suggestions que les autres professeurs peuvent nous offrir.
 
Dans l'esprit ignatien de collaboration, nous espérons que les professeurs qui mettront au point leurs leçons ou de brèves unités concernant des matières spécifiques de leurs programmes en utilisant le Modèle ignatien partageront tout cela avec d'autres.En conséquence, nous espérons de temps en temps mettre à la disposition de tous de brefs matériaux illustrant ce Modèle. Aussi les professeurs sont-ils invités à envoyer des présentations concises de leur utilisation du Modèle ignatien sur des sujets spécifiques, à l'adresse suivante:
Centre International pour l'Education Jésuite Borgo S. Spirito, 4 C.P. 6139 00195 ROME, (ITALIE)
 
 
 
 
 
APPENDICES
 

Appendice 1
 
Nous transposons ici les "Annotations" ou notes guidant le directeur des Exercices Spirituels en des déclarations introduisant à la pédagogie ignatienne.
 
Par "enseignement" on entend toute méthode par laquelle on expérimente, réfléchit et agit selon la vérité ; toute manière de se préparer et se disposer à écarter tout ce qui fait obstacle à la liberté et au progrès (Annotation 1).
 
Le professeur explique à l'élève la manière et l'ordre du sujet et lui raconte fidèlement les faits. Il ne s'écarte pas du sujet et ajoute seulement une courte explication. La raison en est que lorsque les élèves partent du fondement qui leur est présenté, le parcourent et y réfléchissent, ils découvrent ce qui rend la matière plus claire et mieux comprise. Cela vient de leur propre réflexion et donne un plus grand sentiment de réalisation et de satisfaction que si le professeur expliquait et développait longuement la signification des choses. Ce n'est pas en savoir beaucoup qui rassasie et satisfait les élèves, mais de comprendre et de goûter intérieurement la vérité (Annotation 2).
 
Dans tout enseignement nous nous servons des actes de l'intelligence pour réfléchir et de ceux de la volonté pour mouvoir nos sentiments (Annotation 3).
 
Des périodes de temps déterminées sont fixées pour étudier et correspondent généralement aux divisions naturelles du sujet. Cependant il ne faut pas entendre par là que chaque division doit nécessairement correspondre à un temps fixé. Car il peut arriver parfois que certains sont plus lents pour trouver ce qui est cherché, alors que d'autres peuvent être plus rapides, d'autres, plus agités ou fatigués. Aussi peut-il être nécessaire à certains moments d'abréger le temps, et à d'autres de l'allonger (Annotation 4).
 
L'élève qui se met à apprendre doit le faire avec un coeur large et une grande générosité, offrant librement toute son attention et son vouloir pour cette entreprise (Annotation 5).
 
Quand le professeur voit que l'élève ne réagit à aucune expérience, il doit lui poser des questions, lui demander quand et comment il étudie, l'interroger sur la manière dont il comprend les directives données, lui demander quel est le fruit de sa réflexion. lui demander aussi un compte rendu (Annotation 6).
 
Si le professeur remarque que l'élève a des problèmes, qu'il se montre doux et bon avec cet élève. Le professeur doit donner courage et forces pour l'avenir en étudiant doucement avec lui ses erreurs et en lui suggérant des moyens de s'améliorer (Anno- tation 7).
 
Si au cours de ses réflexions, l'élève éprouve joie ou découragement, il doit réfléchir plus avant sur les causes de tels sentiments. Faire part de cela au professeur peut aider l'élève à percevoir les domaines de la consolation ou de l'épreuve qui peuvent l'amener à progresser davantage ou qui pourraient subtilement faire obstacle à ses progrès (Annotations 8,9,10).
 
L'élève doit se consacrer à étudier la matière du moment présent comme s'il n'allait rien étudier de plus. L'élève ne doit pas être pressé de tout voir. "Non multa, sed multum" ("Traitez la matière choisie en profondeur, n'essayez pas de voir tous les sujets dans un domaine donné") (Annotation 11).
 
L'élève doit consacrer à l'étude tout le temps qui est prévu. Il vaut mieux dépasser ce temps que le raccourcir, spécialement quand est forte la tentation de l'écourter et qu'il est difficile d'étudier. Ainsi l'élève s'habituera à résister à l'avenir en se consacrant à l'étude et en fortifiant celle-ci (Annotations 12 et 13).
 
Si, dans ses études, l'élève va de succès en succès, le professeur l'avertira d'y mettre plus de soin et moins de hâte (Annotation 14).
 
Alors que l'élève étudie, il convient davantage que ce soit la vérité elle-même qui le motive et le dispose. Le professeur, comme une balance en équilibre, ne penche ni d'un côté ni d'un autre de la matière, mais laisse l'élève traiter directement avec la vérité et être influencé par la vérité (Annotation 15).
 
Pour que le Créateur et Seigneur agisse plus sûrement en sa créature, il sera très utile pour l'élève de travailler contre tous les obstacles qui l'empêchent de s'ouvrir à toute la vérité (Annotation 16).
 
L'élève doit fidèlement informer le professeur de toutes les agitations et difficultés qu'il rencontre, en sorte que le processus des études puisse être adapté à ses besoins personnels (Annotation 17).
 
Les études doivent toujours être adaptées à la condition de l'élève engagé dans celles-ci (Annotation 18).
 
(Les deux dernières annotations permettent l'initiative d'adaptations en fonction des personnes et des circonstances. Une telle disponibilité à s'adapter dans l'expérience de l'enseignement et de l'étude est grandement efficace) (Annotations 19 et 20).
 
 
 
Appendice 2
 
Discours du P. Peter-Hans Kolvenbach aux participants du groupe de travail international sur PEDAGOGIE IGNATIENNE: APPROCHES CONCRETES Villa Cavalletti, le 29 avril 1993.
 
CONTEXTE : L'HUMANISME CHRETIEN AUJOURD'HUI
 
Je commence en situant nos efforts dans le contexte de la tradition d'éducation jésuite. Dès ses origines au XVIe siècle, l'éducation jésuite s'est consacrée au développement et à la transmission d'un authentique humanisme chrétien. Cet humanisme avait deux racines : les expériences spirituelles personnelles d'Ignace de Loyola et les défis culturels, sociaux et religieux de l'Europe de la Renaissance et de la Réforme.
 
La racine spirituelle de cet humanisme est donnée dans la contemplation qui termine les Exercices Spirituels. Là Ignace fait demander au retraitant une connaissance intime de la manière dont Dieu habite dans les hommes, leur donnant l'intelligence et les faisant à l'image et à la ressemblance de Dieu ; et il est demandé au retraitant de considérer comment Dieu oeuvre et travaille dans tous les êtres créés en faveur de chaque homme. Cette intelligence de la relation de Dieu au monde implique que la foi en Dieu et l'affirmation de tout ce qui est vraiment humain sont choses inséparables. Cette spiritualité a rendu les premiers jésuites capables de faire leur l'humanisme de la Renaissance et de créer tout un réseau d'institutions d'éducation qui à la fois innovaient et répondaient aux besoins urgents de leur époque. La foi et la mise en valeur des humanités allaient de pair.
 
Depuis le Second Concile du Vatican nous avons identifié un nouveau et grave défi qui appelle à une forme nouvelle d'un humanisme chrétien avec un accent mis particulièrement sur l'aspect social. Le Concile a déclaré que "le divorce entre la foi dont ils se réclament et le comportement quotidien d'un grand nombre est à compter parmi les plus graves erreurs de notre temps" (G.S. 43). Le monde nous apparaît mis en pièces, en mille morceaux, brisé.
 
Le problème de base est celui-ci : que signifie la foi en Dieu face à la Bosnie et à l'Angola, au Guatemala et à Haïti, à Auschwitz et à Hiroshima, aux rues grouillantes de Calcutta et aux corps brisés de la place Tienanmen ? Qu'est-ce qu'un humanisme chrétien face aux millions d'hommes, de femmes et d'enfants mourant de faim en Afrique ? Qu'est un humanisme chrétien lorsque nous voyons des millions d'êtres déracinés de leur pays par la persécution et par la terreur, et contraints de rechercher une nouvelle vie dans des terres étrangères ? Qu'est un humanisme chrétien lorsque nous voyons les sans-domicile-fixe errer dans nos villes et le nombre croissant d'exclus qui sont réduits à un permanent désespoir? Qu'est une éducation humaniste dans un tel contexte ? Une sensibilité fruit d'une formation à la misère et à l'exploitation des hommes n'est pas une simple doctrine politique ou un système concernant l'économie. C'est un humanisme, une sensibilité humaine qui doit être renouvelée face aux exigences de notre temps ; ce doit être le fruit d'une éducation dont l'idéal continue à être motivé par les grands commandements : aimer Dieu et aimer son prochain.
 
En d'autres mots, l'humanisme chrétien de la fin du XXe siècle inclut un humanisme social. En tant que tel, il a beaucoup en commun avec l'idéal des autres fois en donnant à l'amour de Dieu une expression efficace : la construction du Royaume de justice et de paix de Dieu sur terre. De même que les premiers jésuites ont contribué personnellement à l'humanisme du XVIe siècle par leurs innovations éducatives, nous sommes appelés aujourd'hui à une entreprise semblable. Ceci appelle à la créativité dans tous les domaines de la pensée, de l'éducation et de la spiritualité. Ce sera aussi le fruit d'une pédagogie ignatienne qui sert la foi par une recherche et une réflexion sur la pleine signification du message chrétien et de ses exigences pour notre temps. Un tel service de la foi, et la promotion de la justice qu'il entraîne, est la base d'un humanisme chrétien contemporain. Il est au coeur de l'entreprise d'une éducation catholique et jésuite aujourd'hui. C'est ce à quoi les Caractéristiques de l'education Jésuite se réfèrent en parlant d'"excellence humaine". C'est ce que nous entendons quand nous disons que le but de l'éducation jésuite est la formation d'hommes et de femmes pour les autres, ayant compétence, conscience et engagement passionné.
 
REPONSE DE LA COMPAGNIE A CE CONTEXTE
 
Il y a juste dix ans, une requête est venue de nombreuses parties du monde demandant une déclaration plus contemporaine des principes essentiels de la pédagogie jésuite. Le besoin s'est ressenti à la lumière de changements notables et en raison de nouvelles réglementations gouvernementales concernant le programme des études, le nombre des élèves et autres choses semblables, à la lumière aussi du besoin ressenti de partager notre pédagogie avec un nombre croissant de professeurs laïcs qui n'étaient pas familiarisés avec l'éducation jésuite ; à la lumière encore de la mission de la Compagnie aujourd'hui dans l'Eglise, spécialement à la lumière du contexte changeant et toujours plus déconcertant dans lequel nos jeunes grandissent aujourd'hui. Notre réponse est le document qui décrit les Caractéristiques de l'éducation Jésuite aujourd'hui. Mais ce document, qui a été très bien reçu dans le monde de l'éducation jésuite, a provoqué une question plus urgente. Comment ? Comment passons-nous de notre intelligence des principes guidant l'éducation jésuite aujourd'hui à un niveau concret qui est de faire que ces principes soient réels dans les relations quotidiennes entre maîtres et élèves ? Car c'est ici, dans le défi et la fièvre du processus enseigner/apprendre, que ces principes peuvent avoir un effet. Cette session à laquelle vous participez cherche à fournir les méthodes pédagogiques concrètes qui peuvent répondre à la question essentielle : comment faisons-nous vivre dans notre classe les Caractéristiques de l'éducation Jésuite ? Le Modèle pédagogique ignatien propose un cadre pour incorporer les éléments essentiels de réflexion dans la manière d'apprendre. La réflexion peut donner aux élèves eux-mêmes l'occasion de considérer la signification humaine et les implications de ce qu'ils étudient.
 
Au milieu de tant d'efforts qui réclament leur temps et leurs énergies, vos étudiants cherchent le sens de la vie. Ils savent que l'holocauste nucléaire est plus que le rêve d'un fou. Inconsciemment au moins, ils souffrent de la peur de vivre dans un monde, uni par l'équilibre de la terreur plus que par les liens de l'amour. Ils sont nombreux ces jeunes qui se sont vus exposés à interpréter l'homme d'une manière cynique : un sac d'intérêts égoïstes, qui exigent une satisfaction immédiate; il est la victime innocente de systèmes inhumains dont il ne possède pas le contrôle. A cause des pressions économiques croissantes en de nombreux pays du monde, beaucoup d'étudiants des pays développés semblent excessivement préoccupés de leur carrière et de leur réalisation personnelle, excluant tout développement humain plus large. Comment pourraient-ils se sentir en sécurité ? Mais sous le couvert de leurs peurs dissimulées fréquemment par une attitude de défi et sous leur désorientation devant les interprétations différentes qu'ils entendent sur l'homme, se cache un désir d'une vision unificatrice du sens de la vie et de leur propre existence. Dans beaucoup de pays en développement, les jeunes avec lesquels vous travaillez font l'expérience de la menace de la famine et des horreurs de la guerre. Ils nourrissent l'espoir que la vie humaine a une valeur et un avenir sous les cendres de la destruction, qui est le seul monde qu'ils ont connu. Dans d'autres pays, où la pauvreté écrase l'esprit humain, les moyens de communication sociale offrent cyniquement la belle vie en termes de richesse et de biens de consommation. Comment nous étonner alors que nos étudiants soient déconcertés et incertains du sens à donner à la vie ?
 
Pendant les années passées dans une école secondaire, les jeunes sont encore relativement disponibles pour écouter et pour explorer. Le monde ne s'est pas encore refermé sur eux. Ils se posent les questions fondamentales du "pourquoi" et du "pour quoi". Ils peuvent rêver d'impossibles rêves, et être enflammés par la vision de ce qui pourrait être. La Compagnie a engagé tant d'hommes et de ressources pour les élèves des écoles secondaires justement parce que ceux-ci sont à la quête des sources de la vie "par delà l'excellence académique". Certainement tout professeur digne de ce nom doit croire dans les jeunes et vouloir encourager leurs désirs d'atteindre les étoiles. Ceci signifie que votre vision personnelle unifiée de la vie doit être terriblement attirante pour vos élèves, les invitant à dialoguer sur les choses qui comptent. Cela doit les encourager à intérioriser des attitudes de compassion profonde et universelle pour leur prochain qui souffre et à se transformer en hommes et femmes de paix et de justice, s'engageant à être des agents du changement dans un monde où l'on reconnaît combien répandue est l'injustice, combien envahissantes les forces de l'oppression, de l'égoïsme et de la société de consommation.
 
Il faut admettre que ceci n'est pas une tâche aisée. Comme nous tous avant d'avoir atteint l'âge de raison, vos élèves ont inconsciemment accepté des valeurs qui sont incompatibles avec ce qui conduit vraiment au bonheur de l'homme. Plus que les jeunes d'une génération précédente, vos élèves ont plus de "raisons" de s'en aller avec tristesse quand ils voient ce qu'impliquent une vision chrétienne de la vie et le changement fondamental d'une vue du monde qui conduit à rejeter la mollesse et l'image faussement brillante d'une vie telle qu'elle est montrée dans d'habiles revues et des films bon marché. Comme peut-être aucune génération dans l'histoire, ils sont exposés au piège de la drogue et à la promesse qu'elle donne de fuir loin d'une réalité pénible.
 
Ces jeunes, hommes et femmes, ont besoin d'avoir confiance dans l'avenir; ils ont besoin de force pour affronter leur propre faiblesse; ils ont besoin de la compréhension et de l'affection plus mûres de leurs professeurs dans toutes les branches, dans lesquelles ils explorent le mystère terrifiant de la vie. Cela ne nous rappelle-t-il pas ce jeune étudiant de l'université de Paris, d'il y a quelque cinq siècles et demi, que Inigo a conquis et a transformé en apôtre des Indes?
 
Tels sont les jeunes, hommes et femmes, que vous êtes appelés à rendre ouverts à l'Esprit, prêts à accepter l'échec apparent de l'amour rédempteur; mais finalement pour devenir des leaders importants, prêts à assumer les charges les plus lourdes de la société sur leurs épaules et à être les témoins de la foi qui fait la justice.
 
Je vous presse instamment d'être persuadés que vos élèves sont appelés à être des leaders dans leur monde ; faites leur comprendre qu'ils sont respectés et aimés. Libérez les chaînes de l'idéologie et de l'insécurité, introduisez-les à une vision plus complète de la signification de l'homme et équipez-les en vue du service de leurs frères et de leurs soeurs, se préoccupant profondément, parce qu'ils y sont sensibles, d'user de leur influence pour corriger les erreurs sociales et faire entrer de saines valeurs dans chacun de leur domaine professionnel, social et personnel. L'exemple de votre propre sensibilité et préoccupation au plan social sera pour eux une source importante d'inspiration.
 
Cette visée apostolique a besoin, cependant, d'être introduite dans des programmes concrets et des méthodes appropriées au sein du monde réel de l'école. L'une des qualités ignatiennes caractéristiques, révélée dans les Exercices Spirituels, dans la IVe Partie des Constitutions ainsi que dans nombre de ses lettres est l'insistance simultanée d'Ignace sur les idéaux les plus hauts et les moyens les plus concrets pour les réaliser, Une vision qui n'est pas complétée par une méthode appropriée peut être perçue comme une platitude stérile, alors qu'une méthode sans vision unifiante est souvent une mode ou un gadget qui passe.
 
Un exemple de cette intégration ignatienne dans l'enseignement se trouve dans le Protrepticon ad magistros scholarum inferiorum Societatis Jesu écrit par le P. Francesco Sacchini, second historien officiel de la Compagnie, quelques années après la publication du Ratio de 1599. Dans sa préface, il remarque : "Chez nous l'éducation de la jeunesse ne se limite pas aux seuls rudiments de la grammaire, mais elle s'étend en même temps à la formation chrétienne." L'Epitome, adoptant la distinction entre "l'instruction" et l'"éducation" comprise comme une formation du caractère, pose en principe que les professeurs doivent être préparés comme il convient aux méthodes d'instruction et à l'art d'éduquer. La tradition éducative de la Compagnie a toujours insisté sur le fait que le critère du succès dans nos institutions n'est pas la maîtrise des propositions, des formules, des philosophies, etc. Le vrai test réside dans les actions, non dans les paroles: que vont-ils faire nos étudiants de la capacité que leur a fournie leur éducation ? Ignace se souciait de former des hommes et des femmes aptes à rendre meilleur leur prochain, et pour obtenir ce but l'érudition ne suffit pas. Pour employer généreusement l'efficacité de son éducation, une personne doit être à la fois bonne et éduquée. Si elle n'est pas éduquée, elle ne sera pas à même d'aider son prochain comme elle le pourrait; si elle n'est pas bonne, elle ne l'aidera pas, ou au moins on peut s'attendre à ce qu'elle ne le fasse pas d'une façon importante. Cela suppose que notre travail éducatif doit viser au-delà du développement des connaissances, le développement humain, qui comporte compréhension, motivation et persuasion.
 
 
 
DIRECTIVES PEDAGOGIQUES
 
Pour obtenir cet objectif, c'est-à-dire, éduquer efficacement, saint Ignace et ses successeurs ont formulé des directives pédagogiques de caractère général. En voici quelques-unes :
 
Ignace estimait que l'attitude propre de l'homme est l'étonnement à la vue du don divin de la création, l'univers et l'existence humaine. Dans sa contemplation de la présence de Dieu dans la création il nous invite à aller plus loin que l'analyse logique des événements jusqu'à la réponse d'affection envers Dieu qui est à l'oeuvre pour nous dans toutes les choses. En trouvant Dieu en toutes choses nous découvrons son dessein d'amour à notre égard. L'imagination, les sentiments, la volonté, l'intelligence ont un rôle central dans l'approche ignatienne. L'éducation de la Compagnie comprend la formation de toute la personne. Dans nos institutions nous sommes invités à intégrer cette dimension plus complète, pour rendre nos élèves capables de découvrir le sens de la vie, qui peut nous aider à découvrir ce que nous sommes et pourquoi nous existons. Cela peut nous fournir des critères pour choisir nos priorités et prendre des décisions aux moments critiques de la vie. Nous pouvons alors adopter des méthodes pédagogiques qui favorisent une recherche rigoureuse, compréhension et réflexion.
 
Dans cette aventure de la recherche de Dieu, Ignace respecte la liberté humaine. Cela écarte toute apparence d'endoctrinement ou de manipulation dans l'éducation de la Compagnie. Notre pédagogie devrait fournir à nos étudiants d'explorer la réalité avec un coeur et un esprit ouverts. Et dans cet effort d'honnêteté, l'étudiant devrait être mis en garde contre le piège que peuvent cacher ses hypothèses et ses préjugés, et ne pas se laisser prendre dans les filets des valeurs populaires qui peuvent le rendre aveugle devant la vérité. L'éducation jésuite stimule donc l'étudiant à connaître et à aimer la vérité. Elle tend à faire la critique de la société dans un sens positif et négatif, pour adopter les valeurs saines qui lui sont proposées et à refuser celles qui sont fausses.
 
Nos institutions apportent leur contribution essentielle à la société en instituant dans notre processus pédagogique une étude rigoureuse et honnête de tous les problèmes et de toutes les préoccupations qui sont cruciales pour l'homme. C'est la raison pour laquelle les collèges de la Compagnie doivent tendre à un niveau académique de qualité. Nous voulons parler ici de tout autre chose qu'un monde facile et superficiel de slogans ou d'idéologies, de réactions purement émotives et égoïstes; et partant de solutions rapides et simplistes. L'enseignement et la recherche et tout ce que comporte le processus de l'éducation sont de la plus haute importance dans nos institutions, parce qu'elles refusent et réfutent toute vision partielle ou déformée de la personne humaine, en contraste évident avec les institutions d'éducation, qui, souvent négligent la préoccupation centrale pour la personne humaine, en se contentant d'une approche fragmentaire de la réalité dans quelque spécialisation.
 
Ignace fait monter l'idéal jusqu'au développement complet de la personne humaine. Son insistance sur le "magis", le "plus", la plus grande gloire de Dieu, est typique. Ainsi dans l'éducation il nous demande d'aspirer à quelque chose qui dépasse la dextérité et le savoir que l'on trouve normalement chez le bon étudiant. Le magis ne se limite pas seulement aux matières académiques, mais concerne l'action. Notre formation inclut des expériences qui nous font explorer les dimensions et les expression du service chrétien comme un moyen pour développer notre esprit de générosité. Nos collèges devront développer cet aspect de la vision ignatienne dans des programmes de service qui encouragent l'élève à faire l'expérience du magis et à prouver dans quelle mesure il l'a assimilé. Ce qui l'amènera en même temps à découvrir la dialectique de l'action et de la contemplation.
 
Mais toute action n'est pas authentiquement destinée à la plus grande gloire de Dieu. Par conséquent Ignace offre un moyen pour découvrir et choisir la volonté de Dieu. Le "discernement' a ici une fonction capitale. Dans nos écoles, collèges et universités il faudra enseigner et mettre en pratique la réflexion et le discernement. Sous le coup de tant de publicité qui nous sollicite dans toutes les directions, il n'est pas toujours facile de faire un libre choix humain. Nous trouvons très rarement que toutes les raisons pour une décision vont dans la même direction. Il y a souvent du pour et du contre. C'est alors que le discernement devient capital. Le discernement demande d'examiner les faits et de réfléchir, en séparant les motifs qui nous déterminent, en comparant les valeurs et les priorités, en étudiant les conséquences que nos décisions comporteront pour les pauvres, en décidant ensuite, et en vivant nos décisions.
 
Mais il y a plus. La réponse à l'appel de Jésus ne peut nous enfermer en nous-mêmes; il exige que nous soyons nous-mêmes et que nous enseignions à nos élèves à être des hommes pour les autres. La vision cosmique d'Ignace était centrée sur la personne du Christ. La réalité de l'incarnation affecte l'éducation jésuite dans sa moelle. Le but dernier, la raison d'être des collèges est de former des hommes et des femmes pour les autres à l'imitation du Christ Jésus - le Fils de Dieu, l'Homme pour les autres par excellence. Ainsi l'éducation de la Compagnie, fidèle au principe de l'incarnation, est un humanisme. Le P. Arrupe écrivait :
 
"Qu'est-ce qu'humaniser le monde si ce n'est le mettre au service de l'humanité?" Mais l'égoïste non seulement n'humanise pas la création matérielle mais déshumanise même les personnes. Il les transforme en objets à dominer, à exploiter, et dont il s'approprie le fruit du travail. Le point tragique est que l'égoïste en agissant ainsi se déshumanise lui-même. Il se soumet lui-même aux possessions qu'il convoite; il en devient l'esclave - il se dépersonnalise, il fait de lui-même un objet soumis à ses désirs aveugles et à leurs objets.
 
Maintenant nous commençons à comprendre que l'éducation n'humanise pas, ni ne christianise pas automatiquement. Nous commençons à ne plus croire que toute éducation, quelle que soit sa qualité ou son objectif, portera à la vertu. Par conséquent il devient toujours plus évident que, si nous cherchons à exercer une influence morale dans la société, nous devons insister pour que le programme d'éducation se développe dans un contexte moral. Cela n'implique pas un programme d'endoctrinement qui étouffe l'esprit, ni suppose des cours théoriques qui deviennent pure spéculation éloignée de leur objectif. Ce qui manque c'est une structure de recherche qui rende possible la manière d'affronter les grands thèmes et les valeurs complexes.
 
Dans tout cet effort pour former des hommes et des femmes compétents, responsables et charitables, Ignace ne perd pas de vue la personne humaine concrète. Il sait que Dieu donne à chacun ses propres talents. Un des principes généraux de la pédagogie de la Compagnie s'en inspire, lorsqu'il s'agit de la sollicitude personnelle pour les élèves, l'affection authentique et l'attention pour chacun des élèves.
 
 
 
LE ROLE DU PROFESSEUR EST CAPITAL
 
Dans une école jésuite, la responsabilité essentielle de la formation morale aussi bien que de la formation intellectuelle repose, en fin de compte, non pas sur quelques procédés ou activités scolaires ou extrascolaires, mais sur le professeur, soumis à Dieu. Une école jésuite doit être une communauté de face à face, dans laquelle peut s'épanouir une authentique relation personnelle entre professeurs et élèves. En l'absence d'une telle relation d'amitié, de fait, une grande partie de la force propre de notre éducation serait perdue. En effet une authentique relation de confiance et d'amitié entre professeur et élève est une condition inappréciable qui dispose chacun à grandir véritablement dans un engagement pour les valeurs.
 
Ainsi le Ratio de 1591 insiste que les professeurs doivent connaître leurs élèves. Il recommande qu'ils les étudient attentivement et réfléchissent sur leurs qualités, leurs défauts, et les conséquences de leur conduite en classe. Et qu'au moins un des professeurs, fait-on remarquer, doit être bien informé du contexte de la famille de l'élève. Les professeurs doivent respecter à tout moment la dignité et la personnalité de l'élève. En classe, conseille toujours le Ratio, les professeurs doivent être patients et savoir comment fermer les yeux sur quelques erreurs ou infliger la correction au moment psychologique opportun. Ils doivent être beaucoup plus disposés à louer qu'à blâmer et s'il est nécesaire de corriger, il faut le faire sans âpreté. Le climat d'amitié qui s'instaure en donnant fréquemment et occasionnellement des conseils, si possible en dehors des heures de classe, peut aider beaucoup. Ces avis et ces conseils servent à accentuer la conception sous-jacente à la nature même de l'école qui est une communauté et dans laquelle le rôle du professeur est capital.
 
Dans le Préambule de la IVe Partie des Constitutions, Ignace semble placer l'exemple personnel du professeur bien au-delà de l'enseignement ou de l'éloquence comme étant un moyen apostolique de faire progresser les élèves dans les valeurs. Au sein de la communauté scolaire le professeur aura une influence persuasive sur le caractère de l'élève, pour le meilleur et pour le pire, par l'exemple de ce qu'il est lui-même. Le Pape Paul VI a fait remarquer nettement dans "Evangelii Nuntiandi" qu'aujourd'hui les élèves écoutent sérieusement, non pas les professeurs, mais les témoins; et s'ils écoutent les professeurs, c'est parce qu'ils sont des témoins".
 
En tant que professeurs de collèges de la Compagnie, en plus de vos qualifications professionnelles d'éducateur, vous devez être des hommes et des femmes de l'Esprit. Que vous le vouliez ou non, vous êtes une cité bâtie sur la colline. Ce que vous êtes est plus éloquent que ce que vous faites ou dites. Dans notre civilisation de l'image, les jeunes apprennent à répondre à l'image vivante des idéaux qu'ils nourrissent dans leur coeur. Des discours sur l'engagement total, le service des pauvres, un ordre social juste, une société anti-raciste, l'ouverture à l'Esprit, etc peuvent les aider à réfléchir. Un exemple vivant les invitera à vouloir vivre ce que signifient ces discours. C'est pourquoi la croissance continuelle dans l'Esprit de Vérité doit nous conduire à une vie de plénitude et de bonté telle que notre exemple devienne un appel pour nos élèves à croître eux-mêmes comme des hommes et des femmes compétents, honnêtes et charitables.
 
 
 
METHODES
 
L'expérience qu'il fit péniblement lui-même des exigences scolaires a montré à Ignace que l'enthousiasme ne suffisait pas pour réussir dans les études. Ce qui fut essentiel ce fut la manière dont l'étudiant fut dirigé et la méthode d'enseignement utilisée. Quand nous parcourons le Ratio, notre première impression est celle d'une accumulation de normes sur les horaires, sur la division minutieuse des cours, le choix des auteurs à lire, des méthodes différentes selon les heures du jour du matin jusqu'au soir, la correction des devoirs et leur imposition, le niveau exact de connaissances qu'un élève doit posséder pour être admis à la classe supérieure. Mais nous voyons que tous les détails y avaient pour but de créer un cadre solide, clair et ordonné, au sein duquel professeur et élève pourraient en toute sécurité poursuivre leurs objectifs. Je fais seulement allusion ici à quelques-unes des méthodes typiques utilisées dans l'éducation jésuite.
 
Dans une telle atmosphère d'ordre et de souci pour une méthode, il serait relativement facile de déterminer des objectifs scolaires précis et limités pour chacune des classes. On sentait que c'était là la première exigence de toute bonne situation d'enseignement : bien savoir ce qu'on recherchait et comment le rechercher. L'instrument caractéristique utilisé alors était la Prélection, dans laquelle le professeur préparait soigneusement les élèves à leur propre activité venant ensuite ; cela seul pouvait créer une authentique manière d'apprendre et les habitudes que cela nécessite.
 
Ces objectifs en vue d'apprendre devaient être choisis et adaptés aux élèves. Les premiers professeurs jésuites croyaient que même les jeunes enfants pouvaient apprendre beaucoup s'ils n'étaient pas par trop surchargés en un même temps. Ainsi le souci du but à atteindre et de l'ordre à suivre devint premier en fonction des possibilités de celui qui apprenait.
 
Parce qu'il connaissait bien la nature humaine, Ignace a compris que même une expérience bien ordonnée dans la prière ou dans les études ne pouvait pas réellement être utile pour le progrès de quelqu'un sans la participation active de l'individu. Dans les Exercices Spirituels Ignace montre l'importance de l'activité personnelle de l'exercitant. Ignace savait la tendance qu'ont tous ceux qui enseignent, que ce soit la prière, l'histoire ou les sciences, à discourir longuement de leurs manières de voir la matière en question. Ignace a compris que rien ne s'apprend sans l'activité intelligente personnelle de celui qui apprend. Ainsi dans de nombreux exercices et dans les études les activités étaient vues comme très importantes.
 
Le principe d'une activité personnelle de la part de celui qui apprend renforce les instructions détaillées du Ratio concernant les répétitions qu'elles soient quotidiennes, hebdomadaires, mensuelles ou annuelles. Autant que possible apprendre doit être chose agréable, intrinsèquement et extrinséquement. En faisant un effort dès le début pour orienter les élèves vers la matière en question, on doit les intéresser au sujet.
 
Dans cet esprit les pièces de théâtre et les spectacles mis en scène par les élèves visaient à stimuler l'étude de la littérature, puisque "Friget enim Poesis sine theatro". Dès lors, des débats, des jeux, etc.. étaient aussi proposés de manière à ce que le désir d'exceller de l'adolescent puisse l'aider à progresser dans l'étude. Ces pratiques montrent un souci premier de rendre l'étude intéressante, et par là même de susciter l'attention des jeunes et leur application à étudier.
 
Tous ces principes pédagogiques sont donc étroitement liés entre eux. Tous ces principes pédagogiques sont étroitement liés entre eux. Le résultat de l'enseignement est une croissance authentique qui se conçoit en termes d'habitudes ou de qualités permanentes. Les habitudes s'acquièrent non pas simplement en comprenant des faits ou des opérations, mais en maîtrisant et en s'appropriant ce qui finit par devenir personnel.Se rendre maître de quelque chose exige un effort continu et un exercice intellectuel; mais un effort profitable n'est possible en ce domaine sans une motivation adaptée et un milieu humain réfléchi. Aucun maillon de cette chaîne n'était particulièrement original, bien que l'ensemble étroitement agencé fût une nouveauté en ce temps-là.
 
En conséquence, pour aider les élèves à s'engager dans une action apostolique, les écoles jésuites doivent leur proposer des occasions d'examiner critiquement les valeurs humaines et de tester par l'expérience leur propre valeur. Une intégration personnelle des valeurs éthiques et religieuses menant à l'action est de loin plus importante que la capacité d'emmagasiner dans la mémoire les faits et les opinions des autres. Il devient clair que les hommes et les femmes du troisième millénaire exigeront sans aucun doute de nouvelles techniques ; mais, ce qui est plus important, ils exigeront ce qui leur fera apprendre avec amour et critiquer tous les aspects de la vie, afin de prendre des décisions (personnelles, sociales, morales, professionnelles et religieuses) qui auront un impact pour rendre meilleures toutes nos vies. Les critères d'une telle croissance (obtenue par les études, la réflexion, l'analyse, le jugement et la mise en place d'alternatives efficaces) sont inévitablement fondés sur les valeurs. Ceci est vrai, que de telles valeurs soient ou ne soient pas rendues explicites dans le processus de l'enseignement. Dans l'éducation jésuite les valeurs évangéliques, telles qu'elles sont soulignées dans les Exercices Spirituels, sont les normes guidant tout développement humain intégral.
 
L'importance de la méthode comme ce qui est substantiel pour réaliser ce dessein sont choses évidentes. En effet, le but d'une éducation orientée vers les valeurs qui est le nôtre - former des hommes et des femmes pour les autres - ne pourra être réalisé que, si ce but imprégnant nos programmes éducatifs à tous les niveaux, nous faisons en sorte que nos élèves réfléchissent aux valeurs qu'implique ce qu'ils étudient. A notre grand regret, nous avons appris combien une pure acquisition de connaissances n'humanise pas inévitablement les hommes. On espérerait que nous avons aussi appris qu'il n'y a pas d'éducation sans lien avec des valeurs. Mais les valeurs enfouies au sein de bien des domaines de la vie d'aujourd'hui sont présentées subtilement. Aussi est-il nécessaire de découvrir les moyens qui rendront les élèves capables de prendre des habitudes de réflexion, de porter un jugement sur les valeurs et leurs conséquences pour les êtres humains dans les sciences positives et humaines qu'ils étudient, alors que se développe la technique, de porter aussi un jugement sur tout l'éventail des programmes sociaux et politiques proposés aussi bien par des prophètes que par des politiciens. Des habitudes ne se forment pas seulement par le hasard des occasions qui se présentent. Des habitudes ne se développent que par une pratique constante et planifiée. Et ainsi le but de former des habitudes de réflexion doit être l'objet d'un travail de la part de tous les enseignants des collèges, lycées et universités jésuites dans tous les sujets, d'une manière adaptée à la maturité des élèves aux différents niveaux.
 
 
 
CONCLUSION
 
Dans notre mission d'aujourd'hui, la pédagogie de base d'Ignace peut être une aide immense pour gagner l'esprit et le coeur des nouvelles générations. La pédagogie ignatienne, en effet, est centrée sur la formation de tout l'homme, coeur, esprit et volonté, et non pas uniquement de l'intelligence; elle provoque les élèves à chercher à discerner la signification de ce qu'ils étudient en usant de la réflexion plutôt que d'une mémoire mécanique, elle encourage une adaptation qui exige d'être ouvert au progrès chez nous tous. Elle exige que nous respections les capacités des élèves aux différents niveaux de leur croissance ; et tout le processus baigne dans un environnement scolaire qui est fait de soins, de respect et de confiance, et au sein duquel l'être humain peut sincèrement affronter les défis souvent pénibles qui signifient être humain avec et pour les autres.
 
Il est certain que le résultat de nos efforts sera toujours inférieur à notre idéal. Mais tendre vers cet idéal, la plus grande gloire de Dieu, a toujours été la marque distinctive de la Compagnie.
 
Si vous vous sentez un peu mal à l'aise dans la manière de pouvoir présenter la pédagogie ignatienne aux professeurs des cinq continents, sachez que vous n'êtes pas seuls. Sachez aussi qu'à chaque mise en doute correspond une affirmation. L'ironie de Charles Dickens n'a pas perdu de son actualité : "C'était le pire des temps, le meilleur des temps, le printemps de l'espoir, l'hiver du désespoir". Et personnellement je me réjouis vivement d'observer le désir croissant qui existe, un peu partout dans le monde, de poursuivre plus énergiquement les objectifs de l'éducation de la Compagnie. Bien comprise, elle mène les étudiants à plus d'unité et à non à de la division, à la foi et non au cynisme, au respect de la vie non à la destruction de notre planète; à une action responsable fondée sur un jugement moral, non à l'abandon craintif ou à l'attaque téméraire.
 
Je suis certain que vous savez que ce qu'il y a de meilleur dans un collège, ce n'est pas ce qu'on en dit, mais ce qui est vécu par les étudiants. L'idéal de l'éducateur de la Compagnie réclame une vie de l'intelligence, une vie d'honnêteté, une vie de justice et de service charitable envers les hommes et les femmes et envers Dieu. Voici l'appel du Christ qui vous est adressé aujourd'hui, un appel à la croissance, à la vie. Qui répondra ? Qui, sinon vous ? Quand, sinon maintenant ?
 
Je conclus en vous rappelant que lorsque le Christ quitta ses disciples, il leur dit "Allez, enseignez". Il leur donnait une mission. Mais lui-même se rendait bien compte qu'ils n'étaient et que nous ne sommes que des hommes; et Dieu sait que souvent nous manquons de confiance en nous-mêmes. C'est pourquoi il a poursuivi : "Souvenez-nous que vous n'êtes pas seuls". Vous ne serez jamais seuls, parce que je serai avec vous. Dans votre ministère, dans les moments difficiles comme dans les moments de joie et de satisfaction, je serai avec vous tous les jours jusqu'à la fin des temps". Ne tombons pas dans l'erreur du Pélagianisme, en prenant tout le poinds de la charge sur nos épaules et en oubliant que nous sommes dans la main de Dieu, travaillant la main dans la main avec Dieu dans ce ministère divin de la Parole.
 
Que Dieu vous bénisse dans cet effort de collaboration. J'attends que vous m'informiez sur les progrès du Projet de Pédagogie Ignatienne dans le monde. Merci pour tout ce que vous ferez!
 
 
APPENDICE 3
 
EXEMPLES DE METHODES POUVANT AIDER LES PROFESSEURS A UTILISER LE MODELE PEDAGOGIQUE IGNATIEN
 
N.B. : Ces approches pédagogiques, ainsi que d'autres, en lien avec la pédagogie ignatienne seront expliquées et concrétisées dans les programmes de développement
pour les équipes enseignantes, qui font intégralement partie du projet de pédagogie ignatienne.

CONTEXTE DES ETUDES
1.    L'élève : les possibilités de progrès
a)    La situation de l'élève : diagnostic des facteurs concernant les aptitudes de l'élève à apprendre et à progresser; facteurs physique, scolaire, psychologique, socio-politique, économique, spirituel.
b) Manières de travailler de l'élève - comment en tirer les conséquences pour un enseignement efficace.
c)    Profil du progrès de l'élève - stratégie pour le progrès.
 
2.    La société
a) Lecture des signes des temps - quelques instruments en vue d'une analyse socio-culturelle.
3. L'école
a)    Environnement scolaire : instruments d'évaluation
b)    Programme des études
- Formel/informel.
- But et enchaînement: possibilités interdisciplinaires.
- Valeurs permettant une évaluation dans le programme.
c)    Education personnalisée
d) Relations de caractère collégial entre membres de l'administration, professeurs, Comité de soutien.
4.    Le professeur - attentes et réalités.
 
EXPERIENCE
1.    La prélection
a) Continuité
b)    Organisateurs compétents
c)    Objectifs clairs
d)    Facteurs humains d'intérêt
e)    Contexte historique de la matière étudiée
f)    Points de vue et présupposés des auteurs de manuels
g)    Schéma des études
2.    Manières de questionner
3.    Activités personnelles de l'élève : Notes
4.    Solution des problèmes / Apprendre à découvrir
5.    Travail en collaboration
6.    Travaux par petits groupes
7. Emulation
8. Fin de la classe
9.    Soutien mutuel
 

REFLEXION
1. Tutorat
2. Journaux des élèves
3. Style ignatien "la répétition"
4. Etudes de cas
5. Dilemmes/Débats/Interprétation de rôles.
6. Séminaires d'intégration

ACTION
1. Travaux personnels des élèves : recherche de la qualité
2. Expérience de service
3. Essais et questions auxquels il ne peut être répondu en peu de mots
4. Planification et mise en oeuvre
5. Choix d'une carrière

EVALUATION
1. Vérification : alternatives possibles
2. Evaluation personnelle de l'élève
3. Etablissement de l'éventail des comportements de l'élève : ensemble des travaux personnels et des remarques de l'élève pendant un semestre.
4. Rencontres consultatives des professeurs
5. Questions posées aux professeurs
6. Etude d'ensemble du profil de l'élève.